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J’ai eu l’honneur de m’asseoir à la Maison Blanche, l’hiver dernier, à la table hospitalière et patriarcale du président Roosevelt, et je me permets de répéter ici ce que je lui disais sans flatterie : « Vous êtes très populaire chez nous, monsieur le Président, et la plupart des républicains éclairés, en France, vous envient à l’Amérique ; mais ce que j’admire particulièrement en vous et ce qui vous sera, je crois, le plus compté par la postérité, c’est d’avoir eu le courage de dire à vos concitoyens des choses désagréables. » C’est aussi un privilège particulier à ce pays et que l’on ne supporterait pas ailleurs : se figure-t-on M. Fallières, dans une harangue officielle, reprochant amèrement aux femmes françaises de refuser d’enfanter ? M. Roosevelt l’a fait publiquement, à maintes reprises ; il a développé ce thème que fuir la maternité est pour l’épouse une lâcheté semblable à celle du soldat qui refuserait d’aller au feu.

Lorsque l’on cause avec lui de ce sujet qui lui tient à cœur, il résume énergiquement ses craintes pour l’avenir en disant : « Continuer ainsi, c’est vouloir se couper la gorge à soi-même.» Les Américains qui me liront vont sourire : « Comment un Français ose-t-il nous blâmer sur ce chapitre ? N’avons-nous pas adopté le French-system ? » C’est là ce qui m’a été plusieurs fois répondu dans les villes de l’Est : « Et d’ailleurs, ajoutait-on, n’avons-nous pas l’immigration qui nous apporte assez d’enfans tout faits ? »

Il y avait à Versailles, sous Louis XV, un marquis d’une grande maison de Franche-Comté, qui venait de se marier avec une jeune fille jolie à ravir. Le Roi, à qui la nouvelle épousée avait été présentée, montra grand plaisir à s’entretenir avec elle et, quelques jours après, fit inscrire le ménage sur la liste recherchée des soupers intimes de Marly. Cette invitation royale, c’était la faveur certaine, mais il eût fallu sans doute y mettre le prix. Le marquis le jugea trop cher ; il mit sa femme en carrosse, le soir même, et partit avec elle en poste pour sa province ; d’où l’histoire conte qu’il écrivit au souverain : « Nous autres, Sire, dans notre famille, nous avons l’habitude de faire nos enfans nous-mêmes. »

L’Amérique ferait bien de ne pas faire faire tous ses enfans par d’autres ; quelque disposés que soient ces fils d’adoption à s’amalgamer à elle, ils seront trop nombreux bientôt pour ne pas être les plus forts ; les descendans des 10 millions d’Anglo-Saxons