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insinue évasivement que « le ciel ne lui en a pas envoyé davantage, » Il parle avec éloge des familles nombreuses, comme un incrédule parlerait de la religion avec sympathie.

Au contraire, l’Américain de la meilleure compagnie, le descendant de la forte race des colons primitifs, méprise ouvertement le pullulement imprévoyant des ménages nouveaux venus ; il plaint comme une infirmité ou raille comme une intempérance de sève, l’habitude où sont les Canadiens Français de multiplier les jeunes têtes à leur foyer. « Race inférieure, déclare-t-il, uniquement propre à la reproduction. » Remarquez que les conditions matérielles de la lutte pour la vie sont, beaucoup plus qu’en France, favorables au développement de la population, puisque le champ d’action est sans bornes dans ce territoire immense, tandis qu’il est étroitement borné pour un homme énergique dans. notre pays, à moins d’en sortir.

Non plus les entraves au droit de tester, ce partage égal imposé par notre code, auquel on attribue, à tort ou à raison, la restriction de la natalité dans nos familles bourgeoises ou même paysannes, n’existent pas aux Etats-Unis, où règne la liberté la plus extrême sur ce chapitre. L’hérédité, l’esprit de famille, n’y ont nullement le caractère qu’ils ont chez nous. Le père ne doit rien ; le fils n’a droit à rien. Chacun dispose de son bien par testament à sa fantaisie, le lègue à un de ses rejetons à l’exclusion de tous les autres, en laisse même à des étrangers la plus grande part ; nul n’y trouve à redire. La fortune n’est point, dans l’opinion-transatlantique, où pourtant le homestead est licite et pratiqué, ce fief perpétuel dont les vivans ont la jouissance, dont les générations à venir ne sauraient être frustrées, — concept antique du droit romain ou chevaleresque passé dans notre code Napoléon ; — c’est un gain personnel dont le titulaire est maître, et qu’il transmet à sa guise.

Aussi bien ne sont-ce pas du tout les mêmes causes qui paralysent la conception en Amérique ou en France. Ici, c’est par tendresse ou amour-propre paternel, de peur que leurs héritiers soient amoindris ou socialement diminués, que les parens limitent leur lignage. Là-bas, c’est par égoïsme personnel, parce que les marmots tiennent de la place, causent de la dépense, que les loyers sont très chers, et surtout que la maternité est une besogne pénible, dont les femmes veulent s’exempter. Par un singulier contraste, la femme se dérobe au travail de son sexe, —