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l’admiration des passans, encore faut-il en être digne. Les buildings, — c’est le nom générique de ces tours de dominos gigantesques, — qui présentent du haut en bas de leurs façades, avec leurs étages uniformes et leurs petites fenêtres carrées, la figure cent fois répétée du « double-quatre » les buildings pourraient être de beaux morceaux d’architecture, adaptant à nos besoins modernes les ressources d’un art éternel. Imaginez la tour Saint-Jacques, plus large et plus haute si l’on veut, aménagée pour un régiment d’avocats, de banquiers, de commerçans de toute taille, découpée à l’intérieur en bureaux innombrables et munie d’ascenseurs à grande vitesse ; ce ne serait pas déplaisant à l’extérieur.

L’expérience a été faite ; il existe quelques types de sky-scrapers assez originaux ; j’en ai compté deux à New-York, un à Boston et un à Chicago. Les étages et les ouvertures sont associés à l’œil par trois et par quatre et disparaissent sous une conception d’ensemble dont les lignes élancées, de style gothique, byzantin ou renaissance, ne manquent pas de grandeur. Les artistes, à qui il appartenait d’inventer une formule nouvelle pour installer des chrétiens les uns sur les autres, jusqu’à une hauteur où nos pères ne logeaient que des cloches, n’eussent pas manqué de découvrir quelque chose ; mais cela eût été plus long à bâtir, plus compliqué, moins confortable et beaucoup plus cher. Or le but de ces cases était simplement de gagner de l’argent, — to make money.

Il n’y a pourtant nulle incompatibilité radicale entre la passion des affaires et le sens de la beauté, entre l’industrie et les arts. Dans le passé, l’histoire nous montre des peuples qui ont su briller à la fois par le goût et par le lucre, témoin Venise et les Pays-Bas, et qui ont perdu l’un et l’autre en même temps. Nulle connexité d’ailleurs entre les succès matériels et intellectuels. Il n’en est pas moins inquiétant que le petit Paris de saint Louis ait pu bâtir Notre-Dame et que cet énorme New-York de 4 millions d’hommes ne possède pas un seul monument grandiose. Et, de plus, il est singulier que ce soit par des pauvres qu’ait été, dans cette ville opulente, élevé et payé le meilleur morceau d’architecture ; la cathédrale catholique de Saint-Patrick.

S’il y a moins de beauté dans le New-York actuel que dans le Paris gothique ou dans celui de la Renaissance, c’est peut-être que les belles œuvres ne prennent un corps de pierre que lorsqu’elles