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des différens cultes. En effet le portier m’invite, avant de me laisser franchir le seuil de cet établissement plus que laïque, à lui donner ma parole que je ne suis ni prêtre, ni pasteur, ni rabbin, ni d’ailleurs iman, lama ou brahmine. Mais à peine entré dans le Girard-College, je vois sortir par toutes les portes d’une vaste rotonde et déambuler le long des cours spacieuses et gazonnées, des théories de garçonnets et d’adultes de neuf à dix-sept ans, regagnant en diverses directions les bâtimens affectés à leur classe. « C’est la chapelle, me dit mon guide, en désignant la rotonde, et l’office vient de finir. »

Assez intrigué, je demande à parler au directeur ; il est debout encore au pupitre, sur l’estrade qui coupe en un point de la salle les gradins garnis de banquettes, où s’assoient les 1 500 élèves de l’établissement. Et, de la meilleure grâce du monde, il m’apprend que feu M. Girard, frappé durant sa vie des querelles qu’entretenaient les sectes religieuses, voulut écarter de la jeunesse ces divisions stériles et défendit qu’il fût donné aucun enseignement confessionnel dans cet asile somptueux à la fondation duquel il consacra sa fortune. Il exigea seulement qu’une lecture publique y fût faite de la Bible... trois fois par jour. Comme j’objectais que l’Ancien Testament contient des parties assez fastidieuses, dénuées de toute actualité pour de futurs citoyens de Pensylvanie, telles que le Lévitique ou le Deutéronome, mon interlocuteur me répliqua qu’en effet l’on négligeait ces livres historiques pour s’attacher surtout à l’Evangile.

Il arrive ainsi que ce collège sans religion est, par un certain côté, le plus religieux du monde, puisqu’il n’y a pas une seule maison congréganiste où les élèves doivent se rassembler chaque jour trois fois, en un local déterminé, pour y entendre une demi-heure durant la parole de Dieu. Ainsi semé, sans commentaires, le grain de cette parole germe-t-il, et quels en peuvent être les fruits ? Je l’ignore, mais il n’est pas téméraire de penser qu’un pareil système n’est pas en tous cas pour diminuer le nombre des sectes ni l’incertitude des opinions. Ces conséquences de l’individualisme désolent les protestans-orthodoxes, en Amérique comme en Europe et, par une réaction naturelle, les épiscopaliens se prennent d’affection pour le ritualisme, dont on peut constater les progrès chez eux. Même chez les presbytériens pratiquans, on observe une vague tendance, un goût inavoué