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permis de supposer que des artisans de luxe, plus habitués à réfléchir et à pérorer, ne furent pas des derniers à protester. Lorsque, après les pillages, les meurtres, les incendies, le Roi put mettre fin aux troubles, il se vengea en abolissant les privilèges des syndicats ouvriers.

Les statuts des peintres parisiens visaient surtout la protection des nationaux, sous une rédaction d’apparence assez large. Tout le monde pouvait être peintre, à la condition de se conformer aux usages, et de connaître le métier. Cette clause visait surtout les Flamands ou les Allemands, qui eussent été tentés de s’installer chez nous à demeure. Le Flamand qui fût venu apporter une méthode nouvelle ne pouvait écouler ses produits qu’à la condition de les soumettre au visa des jurés, et ceux-ci ne le donnaient à peu près jamais. Nous en avons des preuves nombreuses, et l’une des plus intéressantes nous est fournie par une mention de compte où Colart de Laon est chargé de mettre à la mode de Paris un tableau néerlandais introduit dans les collections royales.

Ceci va donc à l’encontre de l’opinion courante touchant l’invasion des artistes flamands chez nous au XIVe siècle. Tous les noms à désinence étrangère rencontrés en France, et à Paris principalement, désignent en réalité des gens qui, comme Hennequin de Liège, sont venus faire leur éducation artistique, ont été admis à la bourgeoisie, et sont définitivement devenus des Parisiens. Sans doute les vieux Princes, oncles du roi Charles VI, le Duc de Berry ou le Duc de Bourgogne peuvent tourner ces difficultés. Le Duc de Bourgogne surtout pourra établir à Dijon des Néerlandais, sans risquer d’attirer sur ses protégés la colère des concurrens nationaux. Le Duc de Berry aura à sa cour de Bourges ou de Mehun-sur-Yèvre André Beauneveu de Valenciennes, ou Jean de Hollande. Mais nous allons voir que, plus de quinze ans après les Maillotins, les artistes français n’ont rien perdu de leur humeur batailleuse et protectionniste.

En mai 1399, Jacquemart de Hesdin, qui est bourgeois de Paris et peintre célèbre, travaille au château de Poitiers avec deux valets, pour le compte du Duc de Berry. Il a pour collaborateur un nommé Jean de Hollande, qui a épousé une fille Garnier, et qui se sert du frère de sa femme, Perrot Garnier, comme d’aide ouvrier. Jean de Hollande a des secrets néerlandais et des couleurs spéciales enfermées dans une boîte qu’il