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répétées du vieillard déçu dans ses ambitieux calculs ; de là ses tentatives répétées contre la vie du couple royal. La souveraine ne devait échapper à ces dangers que pour tomber, après trente-deux années consacrées au bien de l’Empereur et de la patrie, sous les coups de la soldatesque japonaise.


XIII. — UNE AUDIENCE IMPÉRIALE


L’Empereur n’a jamais pu oublier cette mort ; jamais les Nippons, fauteurs du crime, n’ont bénéficié de son pardon. Le pâle visage du monarque, aux traits douloureusement tirés, est empreint, depuis ce jour, d’une souffrance visible. Lors de la première audience particulière qui me fut accordée, voici quelques années, la lassitude du souverain me frappa.

Me reportant à mon Journal, j’y trouve, à la date du 17 novembre 1902, le récit suivant de ma visite au palais : — Depuis hier soir, nous sommes une fois de plus en pleine révolution. Mais la révolution étant pour la Corée une seconde nature, nul n’y attache de l’importance, et chacun va son chemin sans plus d’émoi. À mon grand étonnement, je suis invité à me rendre au palais dans le courant de l’après-midi. Un cortège de courriers, de secrétaires, d’interprètes m’y conduit. Mes porteurs, en longs kafetans violets, déposent une chaise à toit de pagode devant l’entrée principale, ornée d’une de ces marquises, aux colonnes de fonte, fierté des gares de banlieue.

Je franchis le seuil de la plus provinciale des antichambres, accrochant mon manteau à des patères de porcelaine blanche qui font partie d’un meuble dans le goût bourgeois. Un salon, ou mieux une des salles d’attente qui précèdent le cabinet d’un dentiste ou d’un avocat s’ouvre devant nous. Les principaux ornemens en sont une table ronde surchargée de ces livres pompeusement reliés qui, feuilletés à en paraître usés, durant de longues heures d’ennui, n’ont jamais été lus ; des chaises de Vienne, des gravures dans la manière pseudo-classique de l’Empire. Cet appartement, destiné, paraît-il, aux réceptions d’Européens, a-t-il été meublé pour leur étaler l’artificiel et la banalité de leur goût ?

Le maître des cérémonies, le grand chambellan, le ministre de la maison impériale, plusieurs aides de camp nous aident à supporter l’attente. Leurs uniformes sont copiés sur les grandes tenues de l’armée française : tuniques de drap bleu foncé et pan-