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puissance dont l’attitude a, pour nous, le plus d’importance, l’Allemagne.

La nature des lieux et celle des hommes rendaient aisée la prise de possession du pays. D’abord le pays est restreint, une douzaine de millions d’hectares, le cinquième environ de l’Algérie et le sixième ou le septième du Maroc. Il est ouvert de tous les côtés ; pays de plaine ou de vallées bordées de collines, non de montagnes ; une population restreinte, 1 500 000 habitans environ contre les 4 millions trois quarts de l’Algérie actuelle, et les cinq à six millions que les gens compétens attribuent au Maroc : des indigènes de mœurs douces et paisibles en général, en tout cas n’ayant rien de guerrier ; un gouvernement, sans armée réelle, mais obéi sur tout le territoire et avec lequel on pouvait traiter, sûr que le pays ne démentirait pas son chef. Malgré toutes ces conditions favorables, quand des incidens qui engageaient gravement notre honneur et nos intérêts décidèrent notre intervention, au printemps de 1881, on eut la sagesse d’envoyer en Tunisie un corps d’armée considérable ; il n’eut pas à combattre, et, le 12 mai, on obtint du bey la signature du traité qui porte tantôt le nom de traité du Bardo, tantôt celui de traité de Kasr-es-Saïd, et qui posa les bases, depuis lors un peu modifiées et fort élargies, de notre protectorat tunisien. Il n’y eut de sang versé un peu abondamment que quelques semaines après, à la suite d’une fausse manœuvre de notre part. En vue d’influer sur les élections qui devaient se faire au mois d’août 1881, on rappela prématurément en France une dizaine de mille hommes du corps d’occupation. Les indigènes attribuèrent ce rappel à une intervention du sultan de Constantinople ; ils y virent une preuve de pusillanimité. Sur deux points, une insurrection éclata : à Sfax, dans le Sud, le 28 juin, le quartier européen fut pillé et notre consul blessé ; dans le Nord, à la station de Oued Zergua, sur notre voie ferrée, la gare fut incendiée et les employés massacrés ; en même temps, nos compatriotes étaient molestés à Tunis où, par discrétion, nous n’avions pas voulu faire entrer nos troupes, les faisant camper aux environs. Il fallut renvoyer dans la Régence des renforts qui débarquèrent à Sfax le 16 juillet, et, en quelques heures, vinrent à bout de la rébellion. On se décida à marcher jusqu’à Kaïrouan, la ville sainte que l’on avait craint d’abord de paraître souiller par le contact européen, et l’on y entra ; on occupa également