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et voyez s’il faut sacrifier le bien et le repos public à des ressentimens particuliers, et la gloire de sauver l’Etat au plaisir amer de satisfaire des haines secrètes et mal calculées. »

Après cette vive passe d’armes, les négociations languirent, puis cessèrent bientôt entièrement. Mais il resta chez Mirabeau quelque rancune de la querelle ; lorsque, à peu de jours de là, il fut question de désigner Ségur pour le département des Affaires étrangères, Mirabeau s’opposa très nettement à ce choix : « D’ailleurs, écrit-il crûment, il n’est pas assez stupide pour accepter, » Et il met en avant Moustiers, « lourd, mais sage et sûr. » Le projet n’aboutit pas ; mais l’an d’après, après la mort du grand tribun, ce même dangereux emploi fut, pour la seconde fois, proposé au comte de Ségur. Montmorin s’étant retiré en octobre 1791, Louis XVI et Marie-Antoinette mandèrent au palais des Tuileries l’ancien ambassadeur, et le conjurèrent d’accepter cette lourde succession. L’entretien fut long, pathétique ; ému par l’insistance des malheureux souverains, par leurs protestations de confiance, Ségur finit par se laisser convaincre. « Il a fait, écrit Montmorin, ce qu’il fallait de difficultés pour prouver qu’il connaissait les dangers de la place, et il a fini par dire qu’il ferait ce qu’on voudrait. » Mais, l’audience terminée et « se retirant pour sortir après une troisième révérence, il aperçut dans une glace, en face de laquelle la Reine se trouvait, un geste d’irritation de cette princesse, qui lui rendit toute sa défiance[1]. » Toutefois, il hésitait encore, lorsque, la nuit suivante, un ex-commis des Affaires étrangères, depuis longtemps dévoué à tous les siens, vint l’avertir sous main que le ministère proposé serait un leurre et « une vaine apparence, » qu’un personnage occulte, établi hors de France, serait seul informé des véritables intentions du Roi et de la Reine ; et cet avis fut appuyé par des preuves convaincantes. Dès lors, tristement éclairé, il envoya au Roi sa démission, ou plutôt son refus ; le Moniteur du 31 octobre publia la note ci-après : « M. Louis Ségur, ci-devant ministre à Pétersbourg, avait accepté le département des Affaires étrangères, d’après la démission de M. de Montmorin, mais il est revenu sur cette disposition, on ignore pour quel motif. »

  1. Mémoires du général Philippe de Ségur.