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fut réalisée sans délai. Le maréchal, sur l’instante prière de son fils, consentit à s’y installer avec lui. Le départ de toute la famille eut lieu le 21 janvier 1793. Jusqu’au dernier moment, Ségur, avec quelques amis, avait multiplié démarches et prières pour sauver la tête de Louis XVI. La veille encore du jour fatal, Vergniaud, pressé et conjuré par lui, avait pris en ce sens un engagement formel, que son vote renia le lendemain. Quand tout espoir cessa, le maréchal et le comte de Ségur, dont l’hôtel avait vue sur la place de l’exécution, résolurent d’échapper à l’horreur du spectacle. Le matin même, à l’aube du jour, ils quittaient leur logis et s’établissaient à Châtenay.

Les premiers mois de ce séjour furent relativement calmes. La pénurie d’argent, qu’on croyait passagère, n’influait pas sur la sérénité d’esprit. Comme l’hiver était rude, les enfans s’occupaient à ramasser du bois mort dans le parc, « en soufflant dans leurs doigts glacés[1] ; » ils cultivaient aussi des légumes et des pommes de terre, dont ils payaient le prix de leurs leçons. Leur père, de son côté, écrivait des vaudevilles, des comédies légères, dont il comptait tirer profit, quand à l’orage succéderait l’éclaircie. Mais ce répit fut de courte durée. Un homme que le maréchal avait obligé autrefois, maintenant jacobin forcené, découvrit sa retraite, fit décerner un mandat contre lui. Un beau matin, l’on vit débarquer à Châtenay les commissaires de la Convention, venant arracher le vieillard à sa famille en larmes. Il fallut bien céder devant la violence, le laisser emmener à Paris. Septuagénaire, dévoré de la goutte, privé d’un bras laissé sur les champs de bataille, il fut mis à la Force, dans un cachot infect, où il languit six mois, sans autres soins que ceux de quelques ouvriers, ses compagnons de détention, qu’avait émus son infortune.

Son petit-fils Philippe, — celui qui fut plus tard l’historien de la Grande Armée, — avait été témoin de la scène de l’arrestation ; dix ans plus tard, le hasard fit qu’il se retrouvât face à face, dans l’antichambre de son père, avec le dénonciateur, fonctionnaire de l’Empire et courtisan servile. L’empoigner au collet et le jeter dehors, non sans lui avoir fait éprouver en chemin « les rudes effets de son indignation, » fut le premier soin du jeune homme. Cette exécution faite, il le provoque en duel pour le lendemain.

  1. Notes conservées dans les archives de famille.