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Mais, le soir même, on sonnait à sa porte : c’était l’ex-terroriste qui venait, « encore tout meurtri, » présenter ses humbles excuses et implorer le silence de son agresseur, Ce fut l’épilogue de l’histoire.

Le vicomte de Ségur, ainsi qu’on pouvait s’y attendre, avait de quelques mois précédé le maréchal dans les vengeances de la Révolution. Enfermé dans les murs de l’ex-abbaye de Port-Royal, — qu’on avait dénommée Port-Libre pour en faire une prison, — il attendait la guillotine en bonne et nombreuse société, chansonnant ses geôliers, madrigalisant pour les dames et, sous la menace du couperet, conservant sa gaîté et son humeur galante. Il échappa pourtant à ce qui paraissait un sort inévitable. Comme quoi un ancien comédien, qui jadis avait joué ses pièces et tenait à présent l’emploi de secrétaire au Comité de Salut public, parvint à prolonger, par une ruse ingénieuse, l’existence du vicomte et celle du maréchal, je n’ai pas à conter ici ce romanesque et curieux épisode. Thermidor vint à temps pour les rendre à la liberté. Bientôt après, toute la famille fut de nouveau réunie à Châtenay, où, par une chance inespérée, Louis-Philippe de Ségur, échappant aux périls du transfert dans la capitale, était resté, pendant toute cette période, prisonnier sous son propre toit, surveillé par un commissaire et deux paysans sans-culottes, dont il s’était fait des amis.


Après l’affreuse tourmente, c’était beaucoup sans doute d’avoir le droit de vivre, mais encore fallait-il en trouver les moyens, et c’était là le difficile. Les pillages, les confiscations, la suppression de toutes pensions, avaient successivement détruit toutes les ressources, et la détresse était complète. Dans cette crise effrayante, le comte et le vicomte, unis dans une même pensée, recoururent à leur plume ; le passe-temps des années heureuses devint le gagne-pain des années de misère. Parfois séparément, le plus souvent en collaboration, les deux frères firent représenter dans les divers théâtres de la capitale des vaudevilles, des proverbes, des piécettes, d’une verve facile, bourrées d’allusions politiques, et dont l’actualité assurait le succès. L’époque était propice à ce genre d’entreprises : les deux Ségur, écrit Viennet, « vendirent des distractions à ceux qui cherchaient à s’étourdir sur la misère publique, ou qui avaient conservé assez du caractère français pour rire au milieu des tombeaux. » Souvent, pour égayer les soirées