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C’est vers ce même temps que parut la Décade historique, tableau assez poussé au noir du règne de Frédéric-Guillaume II roi de Prusse. « Si ce roi, dit Sainte-Beuve[1], avait eu avec Ségur des torts de procédé, il les paya dans ce tableau fidèle. Une plume véridique est une arme aussi ; M. de Ségur ne l’a jamais eue si ferme, si franchement historique. » Cet ouvrage valut à l’auteur l’honneur qu’il convoitait dès avant la Révolution, son entrée à l’Académie, récemment réorganisée ; mais il marqua aussi l’arrêt, pour toute la durée de l’Empire, de sa production littéraire. Napoléon n’approuvait guère que les gens de son entourage fissent le métier d’écrire, surtout s’il s’agissait de publications politiques ; s’adressant brusquement à l’historien de Frédéric-Guillaume, il lui demanda certain jour, avec une insistance marquée, « si ce M. de Ségur qui faisait des livres était un de ses parens. » Ségur comprit l’invite et, si sa plume ne demeura pas inactive, du moins ne livra-t-il plus rien à la publicité.


V

Sur la fin de sa vie, dans une chanson où il a mis sa biographie en couplets, Ségur se rend ce témoignage :


Poussé par mes destinées,
Près de dix rois tour à tour
J’ai porté, quarante années,
Une âme libre à la Cour.

Cette assertion peut sembler hasardée sous la plume de celui qui sut conserver jusqu’au bout la faveur de Napoléon. Toutefois, si ce goût pour la liberté, dont se targuait Ségur, fut peut-être parfois chez lui théorique plutôt qu’effectif, on ne peut nier qu’il sut, en certaines occasions, donner des preuves d’indépendance qui, sous ce maître absolu, n’étaient pas exemptes de courage. Chateaubriand, entre autres, eut à lui rendre cette justice, lors du vif incident que provoqua la réception de l’auteur des Martyrs à l’Académie française. Le fameux écrivain venait d’être nommé au fauteuil de Joseph Chénier ; Ségur avait été l’un des plus ardens promoteurs de sa candidature, et il fit partie, peu

  1. Notice, etc.