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de l’exécution des travaux publics. En ce qui concerne le peuplement, nous ne travaillerions que pour les Espagnols ; en ce qui touche l’exploitation, nous n’aurions aucun avantage relativement aux Allemands et autres Européens ou Américains. Nous serions les gardes impayés du Maroc ; nous aurions des responsabilités sans compensations ; est-ce vraiment, dans le XXe siècle, une situation qui soit attrayante, et le prétendu honneur que l’on trouverait à cette besogne de sacrifice, honneur qui n’irait pas sans quelque ridicule auprès j de peuples plus réalistes, vaut-il que l’on affronte tant d’aléas et que l’on assume tant de charges ?

On dira, sans doute, qu’il ne s’agit pas pour nous de conquérir le Maroc, mais simplement de le diriger, d’en être le tuteur dévoué et vigilant. Mais en recherchant cette périlleuse tutelle, on court constamment le risque, d’incident en incident, d’être soit entraîné à la conquête, soit acculé à l’humiliation de renoncer à un rôle qu’on aurait sollicité et obtenu.

Puis, comment peut-on espérer d’exercer une tutelle effective et persistante sur le Maroc sans l’occuper, d’une façon permanente, avec des troupes suffisantes ? Les Anglais occupent l’Égypte ; la mollesse de la population permet de réduire à peu de chose le corps d’occupation, mais ce corps existe. Nous-mêmes, nous occupons la Tunisie, pays aussi à population relativement douce : la division d’occupation y est le soutien indispensable du protectorat et du régime français ; supposez que cette division dût quitter la Tunisie, le protectorat s’écroulerait immédiatement, et les colons de l’intérieur agiraient sagement alors en gagnant immédiatement la côte. C’est une grande erreur de croire que, profitant à certains égards de notre domination, sous le rapport de la demande de la main-d’œuvre par exemple et de la hausse des salaires, les indigènes nous soient en général conciliés et que, la force se retirant, ils continueraient d’accepter notre tutelle. Il est bon de se rappeler le massacre de colons, sans causes apparentes ni faits spéciaux, à Marguerite, il y a peu d’années, en Algérie, et plus récemment à Kasserine en Tunisie.

Tout dessein d’établir notre hégémonie ou notre tutelle politique au Maroc, à plus forte raison tout projet d’y fonder un établissement comme celui des Anglais en Égypte, doit conduire fatalement, d’incident en incident, à une tentative de conquête.