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en 1901, 14000 en 1902, 20000 en 1903. La guerre de Mandchourie a, deux ans de suite, fait fléchir la courbe : 14000 en 1904 et 10000 en 1903. Mais le progrès s’est manifesté de nouveau dès la conclusion de la paix avec 17000 immigrés en 1906. La moyenne est supérieure à celle de l’immigration annuelle des Chinois avant l’exclusion dont ils ont été atteints, il y a vingt-cinq ans. De plus, cette immigration considérable se concentre sur une terre d’élection, la Californie, C’est en Californie que viennent s’installer presque tous les Japs. Combien sont-ils dans la riche région dont San Francisco est la capitale ? 40000 ou 50000 au minimum. Ce n’est donc point par une simple métaphore que, lorsqu’on parle à Tokyo de la Californie, on l’appelle le « Nouveau Japon. »

Économiquement, les Japonais immigrés sont des concurrens redoutables. Ils ont d’abord pour eux la force du nombre, car la densité de la population au Japon est près de quinze fois supérieure à celle de la population californienne. Cette force se double de la médiocrité des salaires dans leur pays d’origine. « Le paysan japonais ne ménage pas sa peine ni celle de sa famille. S’il a besoin d’ouvriers, ils coûtent peu, 0,74 en moyenne la journée pour la culture ordinaire, 0,94 pour la culture du thé[1]. » Le salaire moyen d’un mécanicien japonais varie de 1 fr. 50 à 3 francs. Il est rare qu’il atteigne 6 francs. Les Japonais offrent par conséquent une main-d’œuvre non seulement abondante, mais peu coûteuse, un peu moins productive peut-être que la main-d’œuvre blanche quant à la quantité et quant à la qualité, mais si peu rémunérée, qu’on trouve, quand même, avantage à l’utiliser. Ils ont un autre mérite encore : c’est de ne pas faire partie de ces « unions, » de ces syndicats tyranniques, qui font régner sur la Californie une véritable terreur économique et dont les exigences sont devenues légendaires. La frugalité, la propreté, la docilité sont des valeurs aussi avec lesquelles il faut compter. Les capitalistes américains qui ont grand’peine à recruter du travail ne se plaignent pas, — tant s’en faut ! — de l’immigration japonaise. Et ils sont si suspects de la favoriser que M. Hearst lui-même, le meneur de la presse anti-japonaise, a dû se laver du grief d’employer sur ses terres des coolies japonais.

  1. Voyez Weulersse, le Japon d'aujourd’hui.