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surveiller l’Église ou manifester contre elle, on alla parfois jusqu’à faire appel au zèle turbulent des anciens émeutiers de 1849, qui avaient mis en péril la couronne même du grand-duc. Mercenaires de l’ordre et mercenaires du désordre s’évertuaient à faire respecter les ordonnances du pouvoir civil relativement à l’administration des biens de l’Église, et ces ordonnances, pourtant, demeuraient lettre morte. « Chez les bons catholiques, écrivait le publiciste Alban Stolz, c’est peu à peu une gloire d’avoir été emprisonné. L’ennemi le plus acharné du régent ne pourrait pas s’y prendre mieux pour lui aliéner le cœur et la confiance de beaucoup de ses meilleurs sujets. » L’inertie passive des fidèles opposait une sorte de referendum aux ordres de la bureaucratie ; chaque fois que l’archevêque disait : « Je ne peux pas, » une rumeur, pareille à celle du chœur antique, scandait ce nouvel acte du drame, et cette rumeur, où s’exprimait longuement la foule des consciences, disait : « Nous ne voulons pas. » C’était dans cette rumeur que Vicari trouvait sa force : elle était si tenace et si prolongée, si grave et si sincère, qu’elle couvrait les approbations données au gouvernement par la seconde Chambre, et que le ministère était forcé d’écouter la voix du peuple, au-delà du Parlement.

Il n’y avait pas de journaux pour provoquer et soutenir cet élan : le gouvernement les défendait. Il n’y avait pas d’organisation concertée : la poste privée qu’à certaines heures l’archevêché s’efforça d’établir était en butte à d’incessantes surprises policières. Mais ce qui suppléait aux excitations de la presse, ce qui suppléait à l’embrigadement des courages, c’était l’émotion des âmes ; elle coupait court à toute joie, suspendait toutes fêtes ; sans affectation, sans fracas, au village comme à la ville, se produisait la grève des plaisirs : toute une partie de la vie était suspendue, tout un aspect de la vie était voilé ; et si l’Etat devenait anxieux de ces innombrables âmes qui se plaignaient, c’est parce que tout dans leur attitude décelait qu’elles souffraient. Les malaises des consciences n’inquiètent les tyrannies politiques que lorsqu’ils assombrissent visiblement l’éclat de la vie sociale et jettent une note de tristesse vraie dans le bourdonnement quotidien des hommes.

On touchait à l’une de ces heures où les rapports entre l’Église et l’Etat sont tellement tendus, que les concessions réciproques sont impossibles, et que la discussion même de ces