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Parmi d’innombrables clauses peu satisfaisantes pour l’Église, le législateur badois de 1860 consentait lui-même à reconnaître l’autonomie des diverses confessions ; mais cette formule toute platonique ajournait la solution de beaucoup de questions de détail, que le Parlement et le nouveau ministère voulurent aborder de front. Libre aux États voisins d’acheter la paix religieuse au prix d’ententes quotidiennes, implicites, entre l’Etat et l’Église, au prix d’un certain nombre de petites tolérances de fait, signe et gage de bon voisinage ; l’Etat badois, lui, arborait tout de suite les principes, avec la jouissance d’étaler sa souveraineté. Il ne déplaisait pas aux hommes d’État de Carlsruhe d’entendre dire que Bade était une sorte de champ d’expérience pour la politique anticléricale, que les lois de laïcisation s’essayaient dans la Forêt-Noire avant de se transplanter en d’autres pays allemands, et que le gouvernement grand-ducal, selon l’expression de Bunsen, « combattait à l’avant-garde de tous les États décidés à faire prévaloir contre le droit canon l’autonomie et les droits des citoyens. » Ils n’apportaient point, à vrai dire, dans un pareil combat, cette flamme d’apostolat, ce besoin de propagande exaltée, qui avaient poussé la France révolutionnaire à la conquête du monde ; mais ils aimaient que Bade apparût comme un État modèle, logiquement construit d’après certains principes modernes, comme le développement vivant de certains théorèmes politiques, comme l’incarnation de certaines abstractions augustes. Avec moins de fougue, et plus de distinction, un libéral badois des années 1860 à 1870 ressemblait singulièrement à un jacobin d’avant la Terreur.

Ainsi ressuscitait pour l’Église badoise la menace d’une servitude nouvelle, plus terrible peut-être que celle dont la veille elle s’était affranchie. Car, lorsqu’elle n’avait affaire qu’à la bureaucratie, des démarches personnelles auprès du grand-duc, moteur unique et souverain de cet organisme impopulaire, pouvaient atténuer les abus, arrêter les excès de pouvoir. Mais désormais, ce n’était plus avec l’administration, c’était avec la loi, avec une prétendue « conscience publique » incarnée par une majorité, que l’Église aurait à compter. Et puis, la bureaucratie, naguère, opprimait d’un poids égal les deux confessions chrétiennes : elle régnait sur l’Église protestante avec autant d’absolutisme que sur l’Église romaine, avec plus d’absolutisme même, puisque, dans l’établissement protestant, sa domination était fort