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intervention dans les querelles marocaines peut nous entraîner loin et risque d’avoir de mauvais effets.

Il a été amplement démontré, dans les développements qui précèdent, que la prise de possession du Maroc par la France, sous une forme ou sous une autre, entraînerait des sacrifices incommensurables, qu’elle affaiblirait nécessairement notre situation sur le continent européen, qu’elle refroidirait nos rapports avec l’Espagne, notre alliée traditionnelle, naturelle et nécessaire ; qu’enfin, bien loin de consolider notre Empire africain, elle le rendrait plus fragile et y introduirait des germes de dissolution. C’est bien assez pour nous d’avoir 6 millions de sujets musulmans, qui, par l’accroissement naturel de la population, deviendront 8 millions dans trente ans ; il y aurait un grand péril à doubler ce nombre.

On allègue qu’un Maroc anarchique est un mauvais voisin. A certains écarts, l’anarchie marocaine a, en effet, pour nous des inconvéniens ; elle gêne le développement de notre commerce ; elle rend plus fréquens des incidens fâcheux sur notre frontière. Mais ces inconvéniens n’ont qu’une secondaire importance auprès des énormes sacrifices et des responsabilités indéfinies que nous imposeraient l’occupation et la mise en tutelle par nous du Maroc. Les événemens même récens démontrent que, si l’on s’en remet aux autorités algériennes compétentes, les incursions des Marocains sur notre territoire peuvent aisément, à peu de frais, être prévenues ou contenues. Le gouverneur de l’Algérie, M. Jonnart, et le commandant militaire de la province d’Oran, le général Lyautey, deux excellens agens, chacun en sa sphère, si on ne leur eût pas enlevé, en cette circonstance, les pouvoirs qui leur étaient naturellement dévolus, eussent maintenu le calme sur la frontière algérienne. Actuellement, on impose aux Beni-Snassen un châtiment mérité ; des actes énergiques et légitimes de répression assureront la paix dans toute cette zone.

Si l’anarchie marocaine a pour nous quelques inconvéniens, est-on sûr qu’un Empire marocain bien ordonné et florissant ne pourrait pas, au point de vue politique, avoir, pour notre possession tranquille de l’Algérie et de la Tunisie, des périls d’une autre sorte ? Le supposé prospère Empire marocain exercerait une attraction sur toutes les populations arabes et kabyles de notre territoire ; il aurait une force de rayonnement, dont ne peut jouir l’Empire délabré du Chérif. Avons-nous un si manifeste