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tout cela s’est passé dans le premier acte. Il est plein d’événemens, ce premier acte, et plein de coups de théâtre. Mais c’est autre chose que nous demandons à un drame psychologique ; et cet « autre chose, » les auteurs ont eu le parti pris de nous le refuser.

Après ce premier acte, bourré à en craquer, haletant, fiévreux, le drame va se traîner languissant et désespérément vide. Jacques et Claire ont fait le projet de vivre ensemble sous le même toit, et dans l’état d’innocence. Bien entendu, la première bouffée de printemps a raison de ces belles résolutions. Alors, et depuis que les époux ont recommencé d’être amans, la possession dont le furieux désir les a repris leur devient une épouvantable torture. Du fond de la volupté surgit l’image obsédante de la trahison. Ils se supplicient de reproches. Sur leurs lèvres, les injures alternent avec les baisers. Rien de plus monotone et d’ailleurs rien de plus exaspérant que ce concert de plaintes, d’adorations et de reproches. Et il n’y a aucune raison pour que cela finisse. Cela peut durer interminablement...

Est-il besoin de dire que cette situation, ainsi prolongée, est des plus pénibles ? J’ajoute que ces deux martyrs de l’alcôve conjugale n’éveillent chez nous aucun intérêt et que nous n’arrivons pas à plaindre la femme plus que le mari, ni le mari plus que la femme. Que Claire eût gardé pour elle son remords, qu’elle eût pleuré en silence et en cachette, sa douleur nous aurait émus. Que Jacques, auprès d’une femme qu’il aime, eût fait à sa dignité le sacrifice de son plaisir, nous l’en aurions estimé. Mais MM. Paul et Victor Margueritte se sont mépris sur la valeur morale de leurs personnages. Ils ont cru faire de Claire Frénot une créature d’élite, une « héroïne » à la manière moderne. Ils ont interprété son aveu dans le sens d’une exceptionnelle noblesse d’âme. Le voilà bien le stoïcisme à l’usage des temps nouveaux ! Le règne est arrivé de la vérité !... À ce sujet, il me revient en mémoire une histoire campagnarde, dont, hélas ! on n’apprécie toute la saveur qu’en l’entendant conter sur place avec l’accent bas-normand. C’est la nuit : un paysan se retourne dans son lit, sans pouvoir trouver le sommeil ; sa femme, qui l’entend s’agiter et soupirer, le confesse. « C’est, dit-il, que je dois payer demain matin deux mille écus à notre voisin et que je n’en ai pas le premier sou. — Eh bien ! fait l’épouse, bonne conseillère, va lui dire cela tout de suite ; après, tu pourras dormir : c’est lui qui ne dormira plus. » Pour recouvrer le repos, Claire l’a tué chez son mari. Elle agit sous la poussée d’un inconscient égoïsme. Quant à Jacques, s’il reprend sa femme, c’est que tout lui semble préférable aux ennuis de la privation.