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nous restons quand même dans la vérité. Réaliste à sa manière, Perrault donne à ces aventures, qui ne sont d’aucun temps et qui sont de tous les temps, un cadre du XVIIe siècle. Pas plus que nos tragiques et pas plus que La Fontaine, il ne s’est soucié d’inventer le fond de ses récits ; il lui a suffi de les fixer dans une forme définitive ; c’est la théorie elle-même de « l’invention » pour les classiques. Et cela ne l’empêche pas d’être un créateur ; bien au contraire. Ses héros sont à lui, et c’est à lui qu’ils doivent de vivre à travers les siècles. Comparez-les aux héros de contes populaires dont les exploits remplissent les recueils spéciaux. Ceux-ci ont souvent accompli de bien autres prouesses que le Petit Poucet et le Chat botté ; pourtant, — c’est Mme Arvède Barine qui en faisait la remarque dans un article proprement exquis[1], — ils ne sont pas célèbres. « Tous ceux que Perrault a ignorés ou dédaignés sont demeurés des étrangers pour la foule. » Non certes, ces contes ne représentent pas un grand effort de l’esprit humain ; et il n’y faut chercher ni l’origine des mythologies, ni le secret de la destinée. Il nous suffit bien d’y trouver une image de la perfection et le classique d’un genre.

Mais cette perfection même rend malaisée la tâche de l’adaptateur. Pour tirer cinq actes d’un conte aussi bref que la Belle au Bois dormant, il faut de toute nécessité le tirer en longueur. Il y faut coudre des épisodes. Cela nous gêne ; ils nous font, au passage, l’effet d’être des intrus. Ainsi le prologue où nous entendons les bêtes du marais et des arbres, les grenouilles et les hiboux, dialoguer et se plaindre de la mort des fées. Ainsi la scène des mirages qui assaillent le jeune prince dans la forêt, et des épreuves dont il lui faut triompher avant d’atteindre au palais de la princesse. Voilà un Perrault wagnérien, qui eût fort étonné Perrault. Et je veux bien que le bonhomme ait mis dans ses contes un brin de morale ; mais il n’y a mis ni une ombre de philosophie, ni un atome de métaphysique. MM. Jean Richepin et Henri Cain ont donc eu la partie belle pour y introduire ces nouveautés. Ils ont voulu ajouter au conte bleu une signification qui le fit digne d’être entendu par les grandes personnes. Ils se sont donné un mal extrême pour corser d’une intrigue, — et d’une intrigue d’amour, — la fable enfantine. Ils en ont fait une pièce charpentée et qui se tient, mais à quel prix ! N’ont-ils pas imaginé que la vieille, à la quenouille de qui se pique la princesse, a un fils ; que ce fils, Landry, est poète ; que ce poète s’éprend de la princesse. Passe encore ! Mais

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1890.