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revenu. Voilà bien la quintessence de cette espèce de mélodie ; ou plutôt (le mot de quintessence exprimant une force concentrée), en voilà la détrempe et la dernière dilution. Citerons-nous un autre thème, et par exemple, celui de Toinette ? Il est du genre frénétique, un peu dans l’une des manières de M. Massenet, sa manière exaspérée. Avec cela, ce motif, au moins par le mouvement, la direction et les notes d’appui, rappelle un peu, mais en beaucoup moins bien, en beaucoup plus gros, certain motif de Louise. Et MM. Leroux et Charpentier ayant été tous deux élèves de M. Massenet, cela prouve seulement qu’il y a élève et élève, et qu’il existe plusieurs demeures dans la maison du maître, ou du père, que l’un et l’autre ils ont eu.

Sans M. Massenet encore, sans l’appel initial de la Troyenne regrettant sa patrie, nous n’aurions peut-être pas l’apostrophe du chemineau à soi-même : « Va, chemineau, chemine ! » Et pour le coup, ce serait dommage, la phrase étant la meilleure du rôle, la seule qui ne manque ni de grandeur ni de poésie.

Mais que le reste est donc médiocre, et comme ce lyrisme inférieur se partage entre la banale sensiblerie et le pathos vulgaire ! Deux ou trois explosions « dramatiques » du chemineau sont en particulier du goût le plus pénible, et la musique, oui, la musique seule, rien que la forme sonore, y descend jusqu’à la dernière trivialité.

Si du moins les chansons du chemineau, ses chansons proprement dites, avaient leur beauté ! Si quelque chose chantait en elles, de la route et de la plaine, de la forêt et du coteau, de la saison et de l’heure, de la vie errante et libre, quelque chose enfin de tout ce qu’elles devraient chanter ! Mais elles ne sont que des formules vaines, de trop faciles refrains, vides d’esprit et d’âme, de vie et de vérité. Passans mélodieux, augustes ou familiers, vous qui suivez, en troupe ou solitaires, les chemins d’Allemagne et ceux de notre France aussi, vous qui savez, en cheminant, lire dans le secret de la terre et dans le mystère des cieux ; voyageur de Schubert et de Fauré, Bohémiens de Schumann et de Bizet, celui-ci n’est pas votre frère. Il n’a pas de poésie, il n’a pas de musique dans le cœur et sur les lèvres ; ce n’est pas un voyageur, c’est un commis voyageur en chansons.

Ainsi l’étoffe de cette musique est pauvre. Les fournitures et la façon ne valent guère plus. Sur, ou plutôt sous la mélodie, l’harmonie est posée à plat. Elle manque de distinction et de saveur. Beaucoup d’orchestre en cette œuvre bruyante, mais peu d’orchestration. Autant que le dessin, la couleur est voyante avec des tons