Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de petites créatures agiles, serrées de la tête aux pieds en des maillots bruns tachetés de noir, et jouant avec des vases peints, à la manière antique, de la double couleur de leur robe. On dirait de gentils animaux, étranges, un peu lascifs, des lézards mordorés ou des écureuils fauves, tout ras et sans queue. Ils prennent les airs et les poses les plus amusantes, allongés sur le sol ou bien accroupis, les coudes aux genoux, le menton appuyé sur le bord de leurs urnes, riant de toutes leurs dents blanches et de leurs sombres yeux.

Le « divertissement » achevé, dès que retentissent les premiers accords du magnifique épithalame, tout le groupe dansant vient s’appuyer et former contre la muraille de marbre une frise vivante. Alors, pendant quelques minutes, autant que c’est une joie d’entendre, c’en est une de regarder.

Vous goûterez ce double plaisir en d’autres passages encore. Au premier acte, certain épisode orchestral, qui peut-être se dansait naguère, est consacré seulement à quelques pas, très lents, et à quelques regards d’Iphigénie alarmée de ne pas voir paraître Achille. Enfin deux rencontres surtout, de l’ordre visible avec l’ordre sonore, nous ont vraiment ému. C’est au début de ce même premier acte, où elles se suivent de près. Il ne s’agit là que d’éclairage, d’un effet nocturne, puis d’un effet matinal ; mais par l’un et par l’autre la musique même est assombrie et éclairée tour à tour. Dans la nuit pâlissante à peine, dans la nuit écoulée pour lui sans repos, Agamemnon jette son cri douloureux : « Diane impitoyable ! » que cette nuit fait plus déchirant encore. Mais voici la pointe du jour. A peine a-t-elle effleuré le front chargé d’un paternel ennui, que la pathétique adjuration : « Brillant auteur de la lumière ! » s’élève, impatiente de l’accuser et de le maudire, vers le premier rayon du soleil. Encore une fois nous ne vantons point ici d’ingénieux artifices, mais les signes, que seul un grand artiste peut nous rendre sensibles, d’une conformité profonde entre deux modes ou deux valeurs d’art, et comme entre le dehors et le dedans de la même beauté.

On croyait depuis quelques années, — exactement quatre-vingt-quatre, — que le premier en date des cinq opéras français ou francisés de Gluck, très proche des quatre autres par l’âge, en était, par le mérite, extrêmement éloigné. La reprise actuelle d’Iphigénie en Aulide, qui se retira du théâtre en 1824, aura dissipé la légende et remis l’aîné des cinq chefs-d’œuvre à son rang, un peu, mais à peine un peu au-dessous de ceux qui l’ont suivi.

Les modernistes, — l’art compte aussi les siens, — reprochent volontiers