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celui de Racine, en chef-d’œuvre musical. Pour définir ce changement et l’analyser, on choisirait d’abord la première entrée d’Iphigénie.


Je l’attendais partout et, d’un regard timide
Sans cesse parcourant les chemins de l’Aulide,
Mon cœur pour le chercher volait loin devant moi
Et je demande Achille à tout ce que je voi.
Je viens, j’arrive enfin sans qu’il m’ait prévenue,
Je n’ai percé qu’à peine une foule inconnue,
Lui seul ne paraît point.


On verrait ici tout ce qu’un peu, très peu de musique, — une danse lente et un bref arioso, — a su répandre sur ces vers : quel flot de tendresse encore plus pure, plus mélancolique et plus pudiquement alarmée. Et l’air de Clytemnestre : « Armez-vous d’un noble courage, » dont les premiers mots sont presque transcrits de Racine, montrerait ensuite quel surcroit de force et d’émotion la poésie emprunte à l’appareil ou plutôt à l’organisme de la musique, à l’intensité des sons, à leur rythme, à l’orchestre enfin, prévenant, puis précipitant la parole et la prolongeant encore après qu’elle s’est tue.

Nous bénissons les soirs où de telles beautés ressuscitent pour nous. La joie qu’elles nous causent est de plus d’une sorte. C’est d’abord une joie assurée, à l’abri du doute et des retours, celle que nous procurent les œuvres qu’on ne soumet pas à notre faible jugement, mais qu’on propose ou qu’on rend à notre admiration. Et puis, cette joie émouvante est une joie sans trouble. Elle nous anime et ne nous agite point. Elle accroît la vie en nous et la purifie. Elle l’éclaire enfin, car le génie qui nous la donne n’a rien de secret ni d’obscur et, plutôt que de poser le problème, il nous l’apporte tout résolu.


CAMILLE BELLAIGUE.