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légers les gouvernemens qui les laissent poser. Bien coupables ceux qui les posent eux-mêmes.

Rien n’autorise à croire, pour le moment, que M. Briand ait les desseins que la presse radicale-socialiste cherche ostensiblement à lui suggérer ; mais son passé est bien panaché ; et quand on se rappelle d’où n’vient, on se demande où il va. Il a déjà eu deux phases successives dans les questions ecclésiastiques : nous avons, la séparation une fois acquise, rendu pleine justice à la première en l’approuvant, et à la seconde en la déplorant. L’homme reste donc une énigme : son passage au ministère de la Justice en donnera-t-il le mot ? Si, en l’y nommant, on n’a pas voulu formellement menacer la magistrature, il semble bien qu’on se soit proposé de l’intimider quelque peu. M. Briand, en effet, a prononcé dans les récentes discussions parlementaires des paroles qui ne sont pas faites pour encourager son indépendance, et M. Clemenceau s’est chargé d’ajouter quelque chose à ce que ces paroles conservaient encore de réservé et de voilé.

Les débats auxquels nous faisons allusion ont été provoqués, d’abord par la question des biens ecclésiastiques, et ensuite par un arrêt rendu par la cour de Dijon. Nous avons parlé des premiers. On sait que la législation existante permet à tous les héritiers, directs ou indirects, des donateurs de biens ecclésiastiques de poursuivre la révocation d’une fondation dont les charges auraient cessé d’être respectées. Le ministère a présenté une loi nouvelle qui, sous prétexte d’interpréter celle de 1905, en est réellement une différente. Si cette seconde loi lui a paru nécessaire pour atteindre le but qu’il se propose, c’est évidemment parce que la première ne le permet pas ; mais la première subsiste jusqu’à ce qu’elle soit changée, et les tribunaux ont le devoir strict de l’appliquer. M. Guyot-Dessaigne a cependant adressé une circulaire aux parquets pour demander l’ajournement de tous les procès engagés. C’était une sorte d’application du système du cadenas qui permet, en matière de douanes, de percevoir des droits non encore votés, sauf restitution ultérieure s’il y a lieu. Mais cette anticipation n’a pas encore été admise en matière civile, et la plupart des tribunaux ont continué de rendre purement et simplement la justice, en dépit de la circulaire du garde des Sceaux. Ils ont mieux aimé laisser dormir la circulaire que la loi. Le gouvernement en a éprouvé une vive irritation, qu’il n’a pourtant pas osé manifester d’une manière trop affichée, mais sur laquelle les tribunaux récalcitrans n’ont pas pu se méprendre. Ils n’ont point paru s’en émouvoir.