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impulsif, ne mesure pas toujours la portée de ses paroles. S’il la mesurait mieux, il faudrait dire que nous sommes à la veille d’une politique d’agression contre la magistrature, et que M. Briand a été choisi pour en être l’instrument.

Il a mieux à faire au ministère de la Justice. Nous ne parlons même pas des réformes dont notre système judiciaire a besoin : c’est une œuvre de très longue haleine, qui dépasse la portée du ministère actuel. Les préoccupations politiques que chaque jour fait naître et remplace suffisent à son activité. Mais, parmi ces préoccupations, il en est une qui vient de prendre un caractère très vif. Depuis quelque temps on parlait, d’abord à mots couverts, puis à mots très découverts, des abus qui ont accompagné la liquidation des biens des congrégations religieuses. S’il fallait en croire le vieux proverbe qu’il n’y a pas de fumée sans feu, il y aurait certainement au moins un peu de feu, car il y a eu beaucoup de fumée. Mais c’est pour le moment tout ce qu’on peut dire. Nous nous ferions scrupule d’affirmer, ou même, de rapporter des faits dont nous n’avons pas la preuve certaine : le mieux est de nous abstenir et d’attendre. Nous n’attendrons d’ailleurs pas longtemps, puisque le Sénat a décidé de nommer une commission d’enquête pour faire la lumière au milieu de tant d’obscurités.

La question a été posée dans des conditions curieuses. Il semble bien qu’une intrigue politique s’y soit mêlée, mais cette intrigue l’a aidée à aboutir : quand on accepte l’effet, il ne faut pas se montrer trop difficile sur la cause. Déjà M. Guyot-Dessaigne avait publié un rapport sur les opérations relatives aux liquidations congréganistes, et ce rapport, qui disait une partie de la vérité, semblait indiquer que le gouvernement lui-même se préoccupait de la manière dont quelques-unes de ces opérations avaient été conduites. Au cours de la discussion de la loi de finances au Sénat, M. Le Provost de Launay a proposé que les liquidateurs judiciaires fussent assimilés aux comptables des deniers publics, et par conséquent rendus justiciables de la Cour des Comptes. Le gouvernement s’y est opposé pour des motifs tirés de l’ordre juridique ; mais il n’a pas nié des faits dont quelques-uns étaient consignés dans le rapport officiel ; il n’a pas refermé la porte que M. Le Provost de Launay avait entr’ouverte. L’intervention dans le débat de M. Monis, ancien garde des Sceaux dans le ministère de M. Combes, a été remarquée. On chuchotait que M. Combes lui-même se montrait fort ému de la question, qu’il s’en était expliqué avec ses fidèles et qu’il faisait campagne dans les couloirs du Sénat. Ses