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besogne qu’il venait faire. Si l’opération avait été mal conduite et avait coûté cher, le gouvernement pourrait se plaindre ; mais l’opération a été bien conduite et nous avons eu la Kasbah à bon compte. Malgré tout, il semble bien que le ministère ne soit pas pleinement satisfait ; quant au public, cette aventure l’a plutôt diverti. Puisque tout le monde fait des hypothèses sur le général Drude, nous pouvons bien faire la nôtre. Qu’on se mette à la place du général. Si les échos des séances du Sénat sont venus jusqu’à lui, il a dû être quelque peu secoué par les affirmations répétées de M. Clemenceau qu’il avait trente dépêches lui ordonnant d’aller de l’avant. Trente, c’est beaucoup ! Qu’il les eût, nous n’en doutons pas, puisque M. Clemenceau le dit ; mais il en avait peut-être d’autres qui lui donnaient des instructions un peu différentes. Ce sont choses qui se sont vues. Qui sait si le général ne conservait pas certains doutes sur les intentions réelles du gouvernement ? Mais, après la séance, du Sénat, ces doutes étaient dissipés. De plus, la presse commençait à l’attaquer. — Prendre la Kasbah, a-t-il pensé, rien de plus simple : il suffisait de savoir qu’on la voulait. — Et il l’a prise sans avoir besoin de renforts nouveaux. C’est un fait d’armes intéressant. Il ne résout pas la question du Maroc, mais il permet à Casablanca de respirer plus librement, ce qui est un bienfait. Nous ne saurions d’ailleurs protester avec trop d’énergie contre les journaux qui partent de là pour nous pousser toujours plus loin au Maroc, au nom d’une fatalité qu’ils créent eux-mêmes, ou qu’ils créeraient, si on les laissait faire. Les fatalités prétendues inéluctables proviennent le plus souvent de la faiblesse de ceux qui les provoquent, puis les subissent. Gardons-nous du mirage marocain.

M. Pichon est à Madrid, où il est allé rendre au ministre espagnol des Affaires étrangères, M. Allendesalazar, la visite qu’il avait reçue de lui à Paris en octobre dernier. C’est le motif principal de son voyage, mais non pas sans doute son objet unique : comment notre ministre des Affaires étrangères pourrait-il aller en Espagne, en ce moment, sans y parler et y entendre parler du Maroc ? Les deux gouvernemens sont, dit-on, absolument d’accord sur la conduite qu’ils doivent y suivre en commun. Nous n’en doutons pas, et nous voyons dans cet accord une garantie, parce que la sagesse de deux gouvernemens vaut encore mieux que celle d’un seul, et que le gouvernement espagnol en a beaucoup dans les affaires marocaines. Nous avons, à diverses reprises, lendu justice à celle que notre gouvernement y a montrée aussi jusqu’à ce jour. Au reste, ce n’est pas seulement avec