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d’amour ; au Valentin que Victor-Amédée avait effeuillé ses premières marguerites avec la belle Cumiane !

Ce fut donc souriant de son plus gracieux sourire qu’il embrassa la princesse de Piémont et ensuite Carlin, que pareille aubaine stupéfia.

— Carlin, fit après cela le Roi du ton dont il aurait conté la chose la plus simple, je viens de me marier.

Carlin répondit qu’il était très heureux de ce qui pouvait contribuer au bonheur de son père.

— Maintenant, devine avec qui ?

Carlin ne devinait pas.

— Avec la comtesse de Saint-Sébastien !

À ce nom absolument inattendu. Carlin eut un sursaut.

— Eh bien ! vous ne paraissez pas approuver ce choix ?

Carlin, se reprenant à grand’peine, jura qu’il était à mille lieues de rien désapprouver, que la comtesse était une femme du plus haut mérite.

— Vous avez raison, elle fera votre bonheur, et bientôt, acheva le Roi qui, sans rien ajouter, remonta en voiture.

« Elle fera votre bonheur et bientôt, » avait-il dit. Carlin se perdait à débrouiller la double énigme !

Tout était mystère, du reste, au palais. Bien qu’il fût entendu que les caisses qui y affluaient apportaient le trousseau de la nièce de Mme de Saint-Sébastien, on s’étonnait de ne pas voir arriver la belle, non moins que de la discrétion de sa tante à défendre l’entrée du petit appartement, où s’entassaient tant de merveilles. Mme de Saint-Sébastien laissait dire, toujours si maîtresse de soi, qu’en venant de se marier, elle commandait un poulet pour son souper.

Après quoi, elle pria sa camériste, mam’zelle Fanchon, d’ouvrir celui des coffres qui contenait la lingerie de nuit. Ce n’étaient que draps ajourés, que taies d’oreillers garnies de grosses touffes de ruban rose. Et la dame de dire, après avoir examiné tout cela : « Mais, j’y songe, ma nièce est de ma taille, son lit doit être de la longueur du mien, » et la voilà qui drape son pauvre lit de serge verte avec les magnifiques draps brodés, qui le pare des oreillers enrubannés, comme si la belle Milanaise y devait coucher cette nuit même. Ce furent ensuite les chemises, les corsets dont elle s’ajusta, les battans-d’œil dont elle se coiffa.

Mme de Passeran survint, tandis que la comtesse minaudait