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ainsi parée devant son miroir ; Fanchon de tirer l’arrivante par sa manche et de lui souffler à l’oreille : « Ma maîtresse devient folle, elle se croit la mariée. »

La confidente savait heureusement à quoi s’en tenir. Elle demeura là jusqu’à neuf heures, heure à laquelle son amie se glissa enfin parmi ses oreillers enrubannés.

Ce fut alors une bien autre comédie.

— Fanchon ma mie, disait doucement la comtesse du fond de son lit, apprenez que le Roi m’a épousée et qu’il va venir à dix heures.

Fanchon partit d’un fol éclat de rire, convaincue que sa maîtresse continuait sa badinerie.

— Sachez encore, ma mignonne, qu’il vous en coûterait la vie, si vous trahissiez ce joli secret.

Du coup, la pauvre fille fondit en larmes.

— Ah ! ce mariage sera connu demain, et je périrai. Voilà donc la récompense de mes six années de services et de fidélité.

Comme elle en était là de ses gémissemens, le Roi sonna. Il faut savoir qu’il avait toute l’année pour robe de chambre un taffetas vert doublé d’ours blanc. L’hiver, l’ours était en dedans ; l’été, il était en dehors. Or, le mois d’août battait son plein, quand Fanchon, tout en larmes et armée de deux flambeaux, ouvrit la porte. En apercevant cet ours blanc coiffé d’un bonnet en pain de sucre, la pauvre fille fut prise d’une telle peur qu’elle jeta là ses bougies et se sauva en faisant des cris horribles dans la garde-robe où elle couchait.

Il se trouva heureusement que Barbier[1], pour conduire son maître en si bonne fortune, s’était muni d’une lanterne, à l’aide de quoi il parvint à rallumer les bougies de Fanchon. J’ajoute, pour en finir avec cette galante aventure, que Barbier revint chercher le Roi à trois heures du matin ; que Fanchon, loin d’y perdre la vie, fut gratifiée d’une pension de cent écus, et que Mme de Saint-Sébastien, heureuse de n’avoir plus qu’à regarder à ses propres affaires, abdiqua ses fonctions de camarera-mayor.

  1. Valet de chambre du Roi.