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et y prononça ses vœux en 1698. Ce couvent, où la règle de Saint-Dominique s’était faite plus accommodante, offrait un agréable asile aux filles de qualité que leurs parens invitaient à renoncer au monde. L’excellent cardinal Le Camus aurait voulu y rétablir une discipline et une clôture plus exactes, disons plus « affreuses, » pour parler comme la noblesse delphinoise. Mais la résistance de toutes les grandes familles de la province et le mauvais vouloir de Louis XIV avaient été plus forts que son zèle. Il avait dû céder ; et, si les dames de Montfleury portaient encore sur leurs robes blanches le scapulaire blanc et le manteau noir des dominicaines, elles gardaient pour le reste une « honnête liberté. » Le lieu était charmant, et de Grenoble on y venait en promenade par la plus belle route. C’était alors, dans le jardin et dans les vignes du monastère, de libres conversations avec les parens et amis, des collations offertes aux visiteurs, des « concerts de voix et d’instrumens, » toute une vie facile, très séculière et presque « thélémite. » Pour Claudine de Tencin, ce n’était point un ensevelissement que la prise d’un voile en cette accueillante maison. Jolie fille et point sotte, elle attira bien vite à son couvent la meilleure société de Grenoble. La future reine de salon fil dans un parloir ses débuts de bel esprit. Un religieux minime, le P. Manniquet, détestable rimeur, mais « de beaucoup de littérature, » semble avoir été son directeur intellectuel et son * initiateur à la philosophie cartésienne. Elle n’était pas une Armande. Les « tourbillons » et les « mondes tombans » la laissaient indifférente ; et elle ne cherchait dans toute cette physique que des métaphores ou des suggestions pour mieux comprendre la vie humaine et quotidienne, qui seule l’attirait : « Je ne sais, lui écrivait-elle en juin 1706, si vous m’avez fait du bien ou du mal de me donner quelque connaissance de la philosophie de M. Descartes. Il ne s’en faut guère que je ne m’égare dans les idées qu’elle me fournit : tous les tourbillons qui composent l’univers me font imaginer que chaque homme en particulier pourrait bien être un tourbillon. Je regarde l’amour-propre qui est le principe de tous les mouvemens comme la matière céleste dans laquelle nous nageons. Le cœur de l’homme est le centre de son tourbillon ; les passions sont les planètes qui l’environnent. Chaque planète entraîne après elle d’autres petites planètes qui sont à son égard ce que la lune est à notre terre : l’amour, par exemple, emporte la jalousie ; elles s’éclairent