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réciproquement par réflexion ; toute leur lumière ne vient que de celle que le cœur leur envoie. Je place l’ambition après l’amour ; elle n’est pas si près du cœur que la première ; aussi la chaleur qu’elle en reçoit lui donne un peu moins de vivacité… La raison aura aussi sa place dans le tourbillon, mais elle est la dernière : c’est le bon Saturne, nous ne sentons les effets de sa révolution qu’après trente ans. Les comètes ne sont autre chose dans mon système que les réflexions : ce sont ces corps étrangers qui, après bien des détours, viennent passer dans le tourbillon des passions. L’expérience nous apprend qu’elles n’ont nulle part ni bonnes ni mauvaises influences. Je ne vois autre chose dans la matière canellée qui unit l’aimant avec le fer que la sympathie dont les ressorts sont aussi surprenans que cachés. Les taches que nous remarquons dans notre soleil peuvent se rapporter, ce me semble, aux effets que l’âge produit en nous : il affaiblit peu à peu et fait enfin cesser la chaleur naturelle dont le cœur tire toute sa vivacité. Peut-être que le temps fera la même chose sur notre soleil : nous ne différons avec lui que du plus ou moins de durée. » La religieuse qui écrivait ces méditations astro-psychologiques avait alors vingt-quatre ans. Plus tard, sans doute, elle ne placera plus l’ambition après l’amour ; mais, dès à présent, il n’y a pas chez cette jeune apprentie philosophe intempérance d’idéalisme ou de sentimentalité. Elle est déjà la femme positive qui se servira d’autant plus utilement de l’humanité qu’elle la connaîtra mieux.

Elle la connaissait assez déjà pour désirer en jouir et s’y mêler. Elle n’avait point lame claustrale, et les commodités qui lui étaient offertes ne faisaient qu’irriter ses désirs. Dans cette horreur du couvent, il ne se glissait, semble-t-il, nulle répugnance religieuse, nulle révolte « philosophique, » mais elle était femme et voulait vivre. On le sentit trop facilement dans la petite cour provinciale qu’elle s’était faite : « On la venait trouver, dit Saint-Simon, avec tout le succès qu’on eût pu désirer ailleurs ; » et ce fut de la façon la plus vulgaire que Claudine défroqua. Quand et comment abandonna-t-elle Montfleury ? La rupture fut-elle brutale et scandaleuse, ou cette ingénieuse diplomate sut-elle trouver un accommodement ? Les documens font défaut ou sont peu sûrs. Elle-même, sur la fin de sa vie, racontait à Duclos qu’ayant toujours protesté contre des vœux forcés, elle avait très habilement utilisé l’amour inconscient et naïf d’un