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directeur borné pour hâter sa libération. La chronique contemporaine ajoute, il est vrai, que le bon abbé ne fut pas seul à plaider contre les vœux de sa pénitente et que plusieurs accidens trop visibles, arrivés coup sur coup et mal dissimulés dans de soi-disant « saisons d’eaux, » rendaient la rupture inévitable et définitive. La suite de son histoire donne quelque vraisemblance à ces récits ; et la réticence même de ses aveux à Duclos les confirme presque : bruyante ou précautionnée, l’émancipation de la chanoinesse se fit peu canoniquement.

Libérée du couvent, elle ne lui tint pas rancune : elle en garda pour toujours, sinon la dévotion même, qu’elle n’eut sans doute jamais, du moins le goût des relations dévotes, une tendresse médiocre pour les « intrigues de moinerie, » mais le sens de la diplomatie ecclésiastique. Elle n’oubliera pas non plus ce qu’elle avait senti et vu autour d’elle durant tant d’années. Certaines préoccupations, certaines images lui resteront : ces promenades dans le parc, où la religieuse solitaire rencontre le visiteur amoureux, ces entrevues du parloir claustral, où l’on échange des paroles décisives ; ces prises de voile, parfois si douloureuses pour l’amant éconduit, toutes ces scènes monastiques ont passé de ses souvenirs dans ses romans pour y laisser leur pittoresque un peu triste et leur mystère.

Il ne pouvait plus y avoir place à la maison familiale pour la religieuse émancipée ; on peut même supposer qu’elle ne le désirait point. Son père était mort depuis 1705, et sa mère, très honnête femme, révoltée par la conduite de sa fille, devait bientôt en mourir de douleur. Elle vint donc à Paris, ordinaire et sûr refuge de tous les défroqués et « évadés. » C’était, semble-t-il, aux environs de 1710. Elle y trouva sa sœur Mme de Ferriol, qui lui fut indulgente, et surtout son frère l’abbé, de trois ans plus âgé qu’elle, ancien conclaviste du cardinal Le Camus, abbé de Vézelay, grand vicaire de Sens, qui venait à Paris intriguer pour de plus hautes charges et de plus opulens bénéfices. D’instinct, le frère et la sœur allèrent l’un vers l’autre. Désormais ils auront partie liée ; ils s’installent ensemble, et vont se pousser cyniquement l’un l’autre par « un système suivi « d’adulations réciproques qu’ils « porteront jusqu’au dégoût. »

La sœur fréquenta d’abord chez Mme de Ferriol. Grâce à Fontenelle qu’elle y rencontra et à quelques ecclésiastiques complaisans, elle obtint vers 1714 ou 1715 un rescrit en cour de Rome