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démentis, en somme très intimement mauvais, avait du premier coup plu au Roi.

Il arrivait d’ailleurs à son heure : Victor-Amédée avait précisément besoin d’un homme de sa trempe pour mener à bien certain concordat que le trop honnête marquis de Lascaris ne parvenait pas à conclure avec le pape Benoît XIII. Sans barguigner, sans compter avec l’énormité du saut, le Roi proposa au petit commis d’aller faire l’ambassadeur à Rome. Sans barguigner non plus, le petit commis avait accepté. Là-dessus, le titre de marquis d’Orméa acheva de masquer le Ferrero qui partit muni, à défaut de scrupules, d’une lettre de crédit illimitée. Il la fallait telle, pour aborder le tout-puissant secrétaire d’Etat, ce cardinal Coscia dont on savait, à Turin, que les clés de Saint-Pierre ouvraient le coffre-fort sans trop grincer.

L’équipage du marquis se complétait d’une garniture d’autel, estimée cent mille écus, pour le Pape, et d’un chapelet qui, tout de suite, valut à l’arrivant les bonnes grâces de Benoît XIII.

Jamais, en effet. Pape n’avait entendu chapelet tintinnabuler si dévotement à sa messe. Jamais non plus le Sacré-Collège n’avait goûté jargon aussi canonique que celui du nouvel ambassadeur ; et Coscia de renchérir sur l’universelle édification, de vanter sans repos au Saint-Père l’austérité, la probité, la piété du marquis d’Orméa, tandis que celui-ci émiettait discrètement, parmi ceux qui avaient à connaître du futur concordat, ses lettres de crédit. Du reste, la discussion était aisée, charmante avec le marquis : il n’insistait sur rien, cédait sur tout, si bien que le Pape lui-même daigna, comme les négociations s’achevaient, témoigner à Orméa toute sa satisfaction d’avoir vu, grâce à lui, se terminer en parfait accord une affaire de telle gravité.

On en était venu à l’échange des signatures. Comme le document avait été vu, discuté, accepté par toutes les congrégations compétentes, Benoît XIII n’eut pas souci de le relire et signa... un faux concordat, que l’ambassadeur et son compère le cardinal Coscia avaient substitué à l’instrument authentique[1].

Je ne sais si Victor-Amédée eut connaissance de cet escamotage, mais je sais qu’il ne voulut jamais, en dépit des réclamations de Rome, rien rabattre sur les prérogatives, ni sur les droits qu’il lui valait. On a pu voir d’ailleurs que le négociateur n’y

  1. Voyez Blondel, Anecdotes, p. 477.