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redoutable que la mort subite, car on pouvait demander un prêtre et ne pas l’avoir. On savait qu’on allait paraître devant Dieu tout à l’heure, chargé de ses péchés, et souvent l’on ne pouvait rien pour son salut.

A peine pouvons-nous imaginer l’épouvante qui s’emparait parfois des grandes villes pendant le XVIe siècle. La vie s’arrêtait. A Rouen, on ne rencontrait plus dans les rues que le sinistre tombereau peint en blanc et en noir. « Les serviteurs du danger » allaient de quartier en quartier, entraient dans les maisons marquées d’une croix blanche, en rapportaient un cadavre et le jetaient dans la charrette. Bientôt les habitans n’eurent plus le courage de voir l’affreux cortège. Une jeune fille était morte de peur en l’entendant arriver. Il fut décidé qu’on enlèverait les pestiférés pendant la nuit. C’était à la lueur des torches que la charrette montait vers le cimetière Saint-Maur. A dix pas en avant marchait un prêtre qui récitait les psaumes en respirant une boule de parfums. On longeait des églises vaguement éclairées où l’on priait toute la nuit. Arrivés dans l’enclos, où il n’y avait ni monumens, ni tombes, les serviteurs, qui étaient parfois des moines, jetaient à la hâte les corps dans la fosse ; on les recouvrait de si peu de terre que souvent les loups venaient la nuit suivante les déterrer.

Ces scènes d’horreur et l’épouvante suspendue sur la ville affolaient les imaginations. Puisque la science humaine était impuissante, il fallait à tout prix trouver un protecteur céleste. La piété populaire en connaissait plusieurs.

Il est remarquable que quelques-uns des saints qu’on invoquait contre la peste étaient également invoqués contre la mort subite. « La mort noire » apparaissait donc comme la forme la plus redoutable de la mort qui foudroie.

Saint Sébastien est probablement le saint qu’on songea à prier le premier pour détourner les épidémies. Dès 680, s’il en faut croire la tradition, une maladie contagieuse qui désolait Pavie avait pris fin par son intercession. On voit encore à Saint-Pierre-aux-Liens les restes d’une mosaïque qu’on fit alors en son honneur. On a prétendu avec infiniment d’ingéniosité que les coups frappés par la peste avaient éveillé dans des imaginations encore à moitié païennes le souvenir des flèches lancées jadis par les dieux irrités. Saint Sébastien, que les bourreaux avaient criblé de flèches sans pouvoir le tuer, semblait donc le protecteur