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le couvent de Saint-Antoine de Viennois avait le singulier privilège de laisser errer dans les rues de la ville, l’accompagne. Avec sa grande barbe, son air grave, il aurait l’air du supérieur de l’Ordre, si des flammes jaillissant sous ses pieds ne rappelaient son merveilleux pouvoir. À ce signe le saint se révèle.

Saint Roch était pour les artistes une figure pleine de séduction. Il avait la double poésie du voyageur et du héros. Il fut admis d’abord que ce noble jeune homme était beau. On conservait son portrait à Plaisance. Il avait été peint, disait-on, par un gentilhomme que l’exemple de saint Roch avait ramené à la vertu et qui devint fameux lui-même sous le nom de saint Gothard[1]. Au XVIIe siècle le portrait de saint Roch existait encore. Il représentait un homme de petite taille, mais d’une physionomie douce et gracieuse. Des cheveux tombant en longues boucles, une barbe un peu rousse, lui donnaient l’air d’un apôtre. Ses mains, qui soignèrent tant de malades, étaient fines. Ce portrait n’avait peut-être aucune authenticité. Il a pu cependant être tenu pour fidèle. Il est remarquable, en tout cas, que les artistes se représentent d’ordinaire saint Roch sous cet aspect. Ils lui donnent presque toujours cette figure évangélique. Tel nous le montre la belle statue de la chapelle Saint-Gilles à Troyes, ou le tableau de Jean Bellegambe conservé dans la cathédrale d’Arras. On pensait qu’à ce degré de sublimité, la charité marquait un visage et le façonnait à la ressemblance de Jésus-Christ, ou au moins de ses apôtres. Saint Roch ressemble à saint Jacques. Il lui ressemble aussi par le costume. Il porte le chapeau, le manteau, le bourdon, la panetière, tout ce qui symbolisait alors le voyage et l’aventure, les orages : et le grand soleil. A Troyes, deux clefs gravées sur sa pèlerine rappellent qu’il se rendait au seuil du prince des apôtres.

Plusieurs particularités empêchent qu’on ne le confonde avec saint Jacques. Une de ses jambes est nue et laisse voir une plaie pour faire entendre qu’il fut atteint lui aussi de la peste. Chose curieuse, cette plaie a presque toujours la forme d’une blessure : profonde. On dirait que la flèche qui l’a faite vient à peine d’en être retirée. La peste restait donc toujours pour l’imagination populaire un trait lancé par la main de Dieu[2]. Un ange

  1. Il avait fait pénitence plus tard dans les solitudes sauvages de la montagne qui prit son nom.
  2. Une vie de saint Roch ajoutée après coup à la Légende dorée dit même expressément « qu’il eut la cuisse percée d’une flèche, » ce qui est très remarquable.