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s’approche de saint Roch et touche cette plaie d’une main délicate. Il en rapproche les bords ou la frotte doucement avec un céleste onguent. C’est l’ange qui, suivant la légende, fut envoyé par Dieu pour le guérir. Enfin le bon chien se tient à ses côtés et porte parfois un pain dans sa gueule[1].

Les œuvres d’art consacrées aux saints qui guérissent de la peste offrent cette particularité de les représenter généralement réunis. On jugeait qu’en groupe ils avaient plus de puissance auprès de Dieu.


Voilà les saints auxquels le moyen âge finissant a donné toute sa confiance. Ce sont eux que les confréries honoraient de préférence, eux dont les artistes reproduisaient le plus souvent l’image. Il en est peu qui aient été priés avec plus de ferveur. Combien de générations n’ont-ils pas rassurés contre la peur de la mort subite, de la terrible mort païenne qu’aucune consolation n’accompagne !

Telle fut à la fin du moyen âge la prodigieuse fécondité du culte des saints. Des milliers d’œuvres d’art sont nées de la foi profonde en leur intercession. Ce que les artistes du XVe siècle et ceux des premières années du XVIe ont fait de plus exquis leur a été inspiré par les saints. La Réforme vint, et, avec elle, apparut l’esprit critique. Les saints furent discutés. Pour la première fois, on entendit soutenir que saint Christophe était un symbole, que les Actes de sainte Barbe étaient peu authentiques et que sainte Catherine n’avait peut-être jamais existé.

La Réforme, il est vrai, ne triompha pas en France et les artistes continuèrent à représenter des saints. Mais le charme était rompu. Au lieu de croire, les hommes avaient voulu savoir. Les artistes purent désormais avoir toutes les qualités ; ils n’eurent plus la candeur qui rend ces vieilles œuvres inimitables.


EMILE MALE.

  1. Ce chien était tellement inséparable de saint Roch qu’on a dû être amené à l’appeler un « roquet. » C’est là, je crois, la véritable explication de ce mot dont Littré, aussi bien que Darmesteter, Hatzfeld et Thomas disent ne pas connaître l’étymologie. Quand Victor Hugo écrivait : « Saint Roch — avec son chien saint roquet, » il ne croyait sans doute pas si bien dire.