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La naissance de cet enfant du miracle fut accueillie avec une allégresse extrême. Outre qu’il donnait une héritière à l’empire, l’événement scellait de façon éclatante le mariage, fort politique et nullement sentimental, qui, dix années auparavant, avait uni Alexis et Irène, et par là il consolidait à la Cour l’influence, mal assurée jusqu’alors, de la jeune souveraine. Aussi les parens d’Irène, « fous de joie, » en marquèrent-ils hautement leur satisfaction ; et dans les cérémonies officielles par lesquelles il était d’usage de fêter la naissance des enfans impériaux, comme dans les cadeaux qu’on fit à cette occasion à l’armée et au Sénat, un déploiement de luxe inaccoutumé attesta le contentement général. Dès son berceau, on plaça sur la tête de la petite princesse le diadème impérial ; son nom figura dans les acclamations rituelles dont on saluait à Byzance les souverains ; en même temps, on la fiançait au jeune Constantin Doukas, fils de l’empereur détrôné Michel VII, dont Alexis Comnène, en usurpant le pouvoir, avait dû, par respect de la légitimité, s’engager à réserver les droits éventuels. Ainsi, dès son plus jeune âge, Anne Comnène, née dans la pourpre, put rêver qu’un jour elle s’assiérait, en impératrice, sur le trône magnifique des Césars.

L’enfant fut élevée entre sa mère Irène et sa future belle-mère, la basilissa Marie d’Alanie. Toute sa vie elle garda le souvenir radieux de ces premières années, qui lui semblaient plus tard les plus heureuses de toute son existence. Elle adorait sa mère qui, de son côté, marqua toujours à sa fille aînée une particulière prédilection ; elle sentait une admiration profonde pour la jolie femme à la taille élégante, au teint de neige, aux charmans yeux bleus qu’était l’impératrice Marie, et elle se rappelait avec émotion, bien des années plus tard, quelle affection lui avait témoignée cette princesse exquise, digne du ciseau de Phidias et du pinceau d’Apelle, et si belle que quiconque la voyait demeurait comme ravi en extase. « Jamais, écrit Anne Comnène, dans un corps humain on ne vit une plus parfaite harmonie des proportions. C’était une statue animée, un objet d’admiration pour tout homme qui a le sens de la beauté ; ou plutôt, c’était l’Amour incarné et descendu sur la terre. » La petite fille n’aimait pas moins tendrement son futur mari, le jeune Constantin. Il avait neuf ans de plus qu’elle, et c’était alors un garçonnet charmant, blond et rose, avec des yeux