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prétendue science, comme elle goûtait à toutes choses, mais surtout pour s’en bien démontrer la sottise et l’inanité. Et si pieuse qu’elle fût, elle avait peu de goût pour les discussions théologiques dont elle jugeait assez oiseuses les longueurs et les subtilités. Par-dessus tout, l’histoire l’attirait, par ce qu’elle a de sérieux et d’austère, et par la grandeur des devoirs qui s’imposent à l’historien.

Telle fut l’éducation intellectuelle que reçut Anne Comnène. Sa formation morale ne fut pas moins attentivement surveillée. Sous l’influence de la sévère Anne Dalassène[1], la mère de l’empereur, le ton de la cour byzantine avait fort changé depuis quelques années. Cette princesse d’humeur grave et de mœurs rigides avait mis fin résolument aux intrigues du gynécée, aux scandaleuses amours qui, jadis, au temps de Zoé la Porphyrogénète et de Constantin Monomaque, remplissaient de leur corruption le Palais Sacré. D’une main ferme, elle avait remis l’ordre partout, et sous son austère surveillance, la résidence impériale avait pris un air de monastère. On y entendait retentir le chant des hymnes pieux, on y menait une vie correcte et méthodiquement réglée. Sans doute le basileus Alexis, qui n’aimait guère sa femme, ne se faisait point scrupule de quelques menues fredaines ; mais il sauvait soigneusement les apparences ; il eût rougi d’installer au palais quelque maîtresse en titre, et le ton général de sa cour était d’une décence incomparable. En un tel milieu, et sous l’influence d’une grand’mère qu’elle admirait fort, Anne Comnène devint tout naturellement une jeune fille parfaitement élevée, sérieuse, chaste, soucieuse de toutes les convenances, d’une tenue et d’un langage absolument irréprochables.

Ce serait prendre d’elle pourtant une idée assez incomplète, de ne voir en cette princesse qu’une femme intelligente, instruite et bien élevée. Elle avait trop pleinement conscience de ce qu’elle était, de sa haute naissance comme de sa supériorité intellectuelle, pour n’être point une grande ambitieuse. Et aussi bien elle avait de qui tenir. Sa grand’mère Anne Dalassène, qui, à force d’énergie tenace, avait assis sa famille sur le trône, l’empereur Alexis, son père, si habile, si rusé, si persévérant, sa mère Irène, d’âme si virile, intrigante et courageuse tout ensemble, tous étaient de grands ambitieux ; et Anne les entourait tous

  1. Voyez sur cette princesse le chapitre XII de mes Figures byzantines.