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raconter l’histoire de Robert Guiscard, elle a fait usage d’une source latine, aujourd’hui perdue.

Cependant, malgré tout cela, l’Alexiade d’Anne Comnène inspire au lecteur de l’inquiétude et de la défiance. Ce prétendu livre d’histoire est tout ensemble un panégyrique et un pamphlet. Et cela se conçoit sans peine. Quand, à la mort de Bryenne, la princesse se donna pour tâche de continuer l’œuvre historique commencée par son mari et de raconter à la postérité le règne d’Alexis, elle eut la tentation toute naturelle de parer de couleurs éclatantes l’époque où elle était heureuse, où elle espérait, où l’avenir lui souriait. En exaltant la grande figure d’Alexis, il ne lui déplut point d’autre part de rabaisser un peu, par une comparaison inévitable, les successeurs du premier des Comnènes. Elle notait, non sans quelque satisfaction secrète, les signes qu’elle croyait apercevoir de la décadence irrémédiable et rapide. « Aujourd’hui, écrit-elle quelque part, on méprise, comme chose vaine, les historiens et les poètes, et les leçons qu’on en peut tirer. Les dés et les autres amusemens de ce genre, voilà le grand souci. » Ce n’était point ainsi que les choses se passaient autrefois à la cour d’Alexis, du pieux et illustre empereur que sa fille n’hésite pas à proclamer plus grand que Constantin et à associer à la troupe sainte des apôtres du Christ. L’excès même de ces louanges montre assez clairement la tendance de ce livre, auquel Anne Comnène, elle-même, a donné ce titre significatif : l’Alexiade, vrai titre de poème épique en l’honneur d’un héros de légende.

Faut-il rappeler encore qu’Anne était très princesse, très byzantine, incapable par là de comprendre bien des événemens de son temps, et de juger impartialement bien des hommes ? On a dit déjà quels préjugés, quelle hostilité préconçue elle éprouve, ; — et devait éprouver, — à l’égard des croisés, le seul Bohémond mis à part. Faut-il ajouter qu’elle était femme, et qu’elle avait en conséquence un certain goût du décor, de la pompe extérieure, qui lui cachait parfois le fond véritable des choses ; qu’elle était de plus une femme passionnée, pleine de rancunes et de haines, et enfin une femme savante, soucieuse du beau style et de la phrase élégante ? Tout cela, qui diminue sans doute la valeur proprement historique de son œuvre, n’en diminue point l’intérêt. Pour la psychologie du personnage, l’Alexiade demeure un document de première importance. D’une façon