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de la sagesse, oui ; mais de l’abdication, non ; de la fuite, jamais ! » Et M. Ribot s’est demandé quel serait l’effet produit, non seulement sur le Maroc, mais sur l’Algérie si nous abandonnions les positions que nous avons occupées, soit sur la frontière algérienne, soit à Casablanca et dans les environs. M. Ribot est aussi éloigné que possible de la solution infiniment simple, mais infiniment dangereuse de M. Jaurès ; cependant il partage quelques-unes de ses craintes et il a demandé à son tour des explications au gouvernement sur cette pointe hardie, aventureuse, qui ne paraît pas avoir été suivie d’un plein succès, que le général d’Amade, successeur du général Drude, a poussée jusqu’à Settat, à 65 kilomètres de la côte. Si le général d’Amade a voulu seulement infliger un nouveau châtiment aux Chaouïas ; il n’y a rien à dire : lui seul est juge de ce qu’il doit faire en pareil cas. Mais s’il a voulu occuper une position sur la route de Marakech pour troubler les opérations que pourrait entreprendre Moulaï-Hafid et, en réalité, pour lui faire la guerre au nom de la France et au profit de son frère Abd-el-Aziz, la question cesse d’être exclusivement militaire pour devenir politique, et il y a lieu de s’en émouvoir. Jusqu’où ira-t-on, en effet, dans cette voie ? Jusqu’où pourra-t-on être entraîné ? Irons-nous à Marakech ? Irons-nous à Fez ? Nous le pourrions peut-être, et il y a un parti qui y pousse le gouvernement ; mais ce serait une illusion de croire que, même si nous allions à Marakech qui était hier le siège du gouvernement de Moulaï-Halid, et même si nous allions à Fez qui était la capitale où régnait Abd-el-Aziz, la question marocaine serait résolue. Le Maroc est un pays inorganique ; il ne ressemble en rien aux pays centralisés où il suffit de frapper le point le plus sensible pour que l’impression se répercute jusqu’aux extrémités de la masse politique. Le Maroc est un pays encore féodal, divisé, morcelé, composé de parties indépendantes les unes les autres, sur la plupart desquelles le Sultan n’a jamais eu qu’une autorité nominale : pour être maître du pays, il faudrait les conquérir toutes, les unes après les autres, ce que les armées chérifiennes n’ont pas réussi à faire depuis des siècles et ce qu’une armée européenne ne pourrait probablement faire qu’après plusieurs années. S’engager dans une pareille entreprise serait la pire des imprudences. A chaque pas nouveau, on croirait être arrivé au terme de son effort, et il faudrait le recommencer sans cesse : c’est ce que nous avons appelé le mirage marocain. Sommes-nous en situation d’assumer et d’accomplir une aussi lourde tâche ? En avons-nous l’instrument efficace dans une armée coloniale numériquement insuffisante, et dans