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à Marakech, à Fez, partout enfin, à prendre le Sultan par la main, à le remettre sur son trône et à conquérir pour lui son royaume dont il n’a jamais possédé qu’un tiers ou un quart, nous comprendrions qu’on s’engageât avec lui dans l’espoir, peut-être illusoire, de l’engager avec nous. Mais qui oserait conseiller cette politique ? Toutefois, si personne ne la conseille ouvertement, certaines gens y poussent subrepticement, et le gouvernement a peut-être beaucoup à faire pour résister à leurs suggestions.

Il y a aussi une question d’emprunt sur laquelle M. Ribot a demandé au ministère de s’expliquer. D’Abd-el-Aziz et de son frère nous ne saurions dire lequel des deux a le moins d’argent. M. Ribot a dit à la Chambre qui en a été étonnée, — et nous le sommes avec elle, — que le produit des douanes, au lieu de diminuer depuis six mois, a augmenté. Cela prouve que le Maroc souffre moins de l’anarchie qu’on pourrait le croire, tant il y est habitué : n’est-ce pas son état normal ? Quoiqu’il en soit, le phénomène est heureux. Il ne l’est peut-être pas moins pour nous que pour le Maroc, le produit des douanes ayant reçu, entre autres affectations, celle de pourvoir au service des anciens, ou plutôt de l’ancien emprunt dans lequel les autres se sont convertis. Mais cet impôt, qui est prélevé à la périphérie, est à peu près le seul qui le soit au Maroc. A l’intérieur du pays, on ne les a jamais perçus qu’à coups de fusil : ce sont les mehallas qui font office de percepteurs, et elles sont pour le moment occupées à autre chose. Dans les villes, à Fez par exemple, on a payé jusqu’à ces derniers temps un impôt sur les portes ; les récentes révolutions, qui ont mis Moulaï-Hafid sur le pavois, ont supprimé cette dernière taxe. On se demande de quoi vivent aujourd’hui les deux sultans, et surtout de quoi ils vivront demain. Leur situation est critique, mais ils sont à deux de jeu. Sur ces entrefaites, El Mokhri est venu à Paris contracter, dit-on, un emprunt au nom d’Abd-el-Aziz. Nous le plaignons sincèrement. Le bruit a couru que l’emprunt devait être de 150 millions ; il est difficile de trouver en tout temps, et d’un seul coup, une aussi grosse somme pour le sultan du Maroc, même légitime ; mais la difficulté s’est singulièrement accrue au cours du voyage d’El Mokhri. En effet, au moment où il arrivait chez nous, Fez proclamait Moulaï-Hafid. El Mokhri, interrogé par des reporters, leur a donné l’assurance que l’incident était négligeable : il est à craindre que les banquiers n’en jugent autrement. En somme, dans l’état de décomposition politique où est le Maroc, un pareil emprunt ne serait réalisable qu’avec la garantie d’une ou de plusieurs grandes puissances qui