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six personnages dont il est sûr, et sans plus se soucier de protocole que de respect, accuse Victor-Amédée de félonie. L’acte dicté à Boggio en est la preuve flagrante. C’est l’appui de l’étranger que Victor-Amédée veut aller mendier à Milan, la guerre civile qu’il va déchaîner. C’est la vie du Roi qui se trouve menacée parce qu’une femme, la marquise de Spigno, déçue dans ses folles ambitions, a réussi à faire oublier à son mari l’honneur de sa parole et le bien de l’Etat.

— Le devoir du Roi est de parer à de telles catastrophes en s’assurant de la personne de Victor-Amédée, continue Orméa, nous avons à nous prononcer sur cette terrible mesure ; mais ne pensons pas à nous, victimes désignées à une haine furieuse, pensons à l’État, au Roi que nous avons juré de servir au péril de notre vie[1].

Nul ne dit mot, car chacun approuve. Enfoncé dans son fauteuil, Charles-Emmanuel demeure immobile, tandis qu’Orméa lui présente une plume et l’ordre d’arrestation.

— Mais, sire, insiste le ministre, il y va de notre honneur, de notre vie à tous.

D’un geste mourant, Charles-Emmanuel prend enfin la plume et signe, puis, d’un autre geste, congédie tout le monde. Tandis qu’Orméa emporte le fatal papier, la Reine entre éperdue et se jette dans les bras de son mari qui pleure.

Les portes de Turin furent fermées, ce soir-là, à sept heures. Six bataillons d’infanterie et un escadron de dragons avaient pris le chemin de Moncalier. A minuit le château était cerné. Le marquis d’Orméa avait suivi la troupe, pour s’emparer, dès l’arrestation du Roi, de tous les papiers qu’on pourrait trouver. Le comte de la Pérouse commandait.

A une heure du matin, La Pérouse se dirige, accompagné de quatre colonels et suivi d’une compagnie de grenadiers, vers l’appartement royal. Tout dort, les portes sont fermées à double tour. La Pérouse appelle deux sapeurs ; à leur premier coup de hache, la marquise de Spigno s’est jetée hors du lit ; elle court à la porte, aperçoit les grenadiers, revient en criant : « Ah ! mon Roi, nous sommes perdus. »

Les soldats sont entrés derrière elle. La Pérouse s’empare de l’épée que Victor-Amédée a laissée sur la table, et s’approche.

  1. Voyez Carutti, p. 502.