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Et pourtant l’Angleterre reste grande et forte. Elle l’est encore, par le courage de ses hommes, leur patience et leur fidélité au devoir, par tout ce qui subsiste en eux de l’époque où ses hommes, non ses possessions, étaient sa principale richesse économique. Mais de cette grandeur-là, de cette force-là, qui songe à s’enorgueillir ? « Nos journaux nous parlent de notre intense activité, de notre prospérité sociale, de notre suprématie politique ; Et, d’après eux, à quoi faut-il attribuer ces biens et ces succès ? À ce que nos ancêtres anglais ont fait de siècles en siècles ? Au sang qu’ils nous ont transmis ? Non, pas à cela. À notre honnêteté de cœur, à notre lucidité de tête, à notre constance de volonté ? Non, pas à cela non plus. À nos penseurs, nos hommes d’État, nos poètes, nos capitaines, nos martyrs, ou le patient labeur de nos pauvres ? Non, à rien de tout cela ; du moins pas pour une proportion importante. Non, dit un journal, plutôt que toute autre cause, c’est l’abondance et le bon marché de notre charbon qui nous a fait ce que nous sommes. S’il en est ainsi, eh bien ! que la cendre retourne à la cendre, et que telle soit le plus tôt possible notre épitaphe[1] ! »

Car l’énergie vitale d’un peuple est d’une tout autre espèce que l’énergie calorifique du charbon, son pneuma vital d’un tout autre ordre que le souffle de la machine à vapeur. Il arrive même que le charbon dont vous êtes si fier soit le signe d’une certaine destruction d’énergie vitale, que la richesse manifeste une perte et non pas une acquisition. « Impossible de conclure d’une certaine quantité de richesse, si elle signifie un bien ou un mal pour la nation qui la possède. Sa valeur vraie dépend des quantités morales auxquelles on l’associe. » Pour un peuple comme pour un individu, elle est un plus ou moins, selon que ces quantités qui ne se peuvent exprimer qu’en termes d’âme humaine sont positives ou négatives. Et cette relation n’est pas d’ordre vague, fantaisiste, littéraire, mais d’espèce strictement matérielle, économique. Méditez la fière devise de l’Angleterre moderne : « Acheter le meilleur marché possible et vendre le plus cher possible ; » en bonne économie politique elle ne signifie rien. « Vous pouvez acheter très bon marché le charbon de bois après l’incendie dont la flamme a carbonisé votre propre maison, à très bon marché les briques après le tremblement de terre où votre ville s’est écroulée[2]. »

  1. Crown of Wild Olive, § 123.
  2. Unto this Last, II.