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Ce fut la profonde originalité de certains mystiques anglais d’enter leur panthéisme latent ou professé sur un fonds d’idées puritaines. Telle est la part irrationnelle de l’élément ethnique en toute philosophie comme en toute religion. Carlyle nous a montré dans le Sartor son Dieu-Volonté sous le vêtement de la Nature. Ruskin voit dans le mouvement de la vie l’élément sacré des choses ; et tous deux, qui sont au XIXe siècle les professeurs d’énergie de l’Angleterre, sont aussi ses professeurs de morale. Selon Ruskin, et c’est ici que le souci pratique vient s’ajouter à l’intuition poétique et la qualifier, si la beauté visible d’un être manifeste cette intensité de vie qui est toute sa perfection, celle-ci n’est possible que lorsque d’une volonté rigoureuse, la créature obéit aux lois de son activité spécifique, — on peut dire à la morale de son espèce. Toute forme spécifique est le signe d’une vie qui obéit à des impératifs. En ce sens, il est une éthique de la fleur, de la feuille et de la cellule : obéissance aux lois du type, fidélité à la fonction prescrite, subordination, dévouement à la perfection de l’ensemble. En ce sens encore on peut dire qu’il est une éthique de l’atome. La poussière qui s’assemble pour composer un cristal connaît son mal et son bien. Son bien, c’est de réaliser, pure, tout entière, l’une des éternelles idées de la nature. À cette fin quelles disciplines spontanées vont régir l’ordonnance en files, en pelotons, en carrés multiples, des individus moléculaires suivant les arêtes et les plans idéaux, leur orientation dans le sens prescrit par la loi, la soumission de chacun à des fins générales situées hors de lui-même, et pourtant où réside son bien propre. Avec quelle énergie de vie, de vie précise et consciente de ses fins, qui sont aussi celles de l’ensemble, chacun de ces infiniment petits va se mettre à l’œuvre, se diriger, cohérer fidèlement, obstinément, à son voisin, collaborer avec lui, pour que se produise sans hésitation la parfaite forme totale ! Les vertus inhérentes des cristaux peuvent se définir par des mots que l’on emploierait pour louer une créature humaine : force de cœur et constance de vouloir. « Il semble qu’il y ait en certains cristaux, dès leur apparition, une inviolable pureté de puissance vitale, une indomptable force de leur volonté de cristal. Toute substance morte, inharmonique à leur propre tendance, qui voudrait se mêler à eux, ou bien ils la rejettent, ou bien ils lui imposent quelque admirable forme secondaire. Leur rigueur de type reste absolue. Chacune