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meurt de fatigue et d’ennui. Écoutez-le dire à son amie : « Mais vois donc que je suis las, las avant l’effort et que j’ai peur. » Et la pauvrette de lui répondre : « Ah ! tu sais trop de choses. » Elle a raison : et encore « savoir » n’est pas assez dire. Toutes ces idées qui encombrent sa mémoire, il a tâché de les vivre, de les transformer en poésie. Comme un enfant stoïquement docile aux manies de ses pédagogues, il s’est fatigué à transvaser, si j’ose dire, dans sa propre vie intérieure les déliquescences de ses poètes, les abstractions de ses rêveurs. Faut-il s’étonner qu’il tombe de lassitude « au fossé de son premier chemin ! » Il se relève, car il est d’une bonne volonté sans limites ; mais il n’ira pas longtemps. A chaque pas, l’ennui l’arrête, l’ennui, ce bon serviteur, cet inexorable gardien qui ne nous permet pas de courir loin des frontières de notre moi et qui donne la chasse aux barbares.

« Suprême fleur de toutes ces cultures, l’héritier d’une telle sagesse, étendu sur le dos, bâillait. »

De tout ce livre si jeune, si curieux, si rare, je voudrais surtout retenir ce bâillement libérateur plus éloquent que les plus belles invectives et qui sonne la déroute des barbares. Il bâille, donc il est sauvé. Le voilà rendu à soi-même. Vienne le maître, « axiome, religion ou prince des hommes, » qui lui montre « le sentier où s’accomplira sa destinée. »

On connaît le sujet de Un homme libre. Semblable à un nouveau converti qui, pour mieux rompre avec le monde, court s’enfermer dans un monastère, et là, seul avec son directeur, se fixe, par le menu, le programme d’une existence nouvelle, Philippe, — c’est le héros de la première trilogie, — imagine une sorte de retraite où il puisse se consacrer uniquement aux vrais intérêts de son âme. Un jeune homme, Simon, l’accompagne, et se prête avec une complaisance méritoire à seconder le développement spirituel de son ami. Toujours pressés de rire à la lecture de M. Barrès, parce qu’ils craindraient, en ne riant pas, de paraître béotiens, plusieurs n’ont pas admiré comme il fallait le sérieux et le courage de cette entreprise. Que l’auteur s’amuse en cent endroits ; que, par exemple, il se reproche, comme un « péché, » d’avoir refusé un fauteuil à oreillettes où il aurait médité plus noblement ;