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qu’enfin il mette constamment une sourdine ironique à ses confidences, les belles nouvelles ! Mais cette ironie, vous n’en goûtez pas la saveur native si vous ignorez le fond d’amertume sur lequel elle a germé. Refuge contre les pédans qui n’ont jamais aimé un livre sincère, détente d’un jeune esprit qui a poussé trop loin les cruautés de ses analyses, l’ironie de ce livre est en somme comme un premier pas vers cette philosophie de l’acceptation que l’auteur entrevoit déjà confusément au terme de ses expériences, et contre laquelle il ne se révoltera pas toujours.

Comme tant d’autres livres de M. Barrès, Un homme libre est un palimpseste, où des spéculations abstraites se superposent au texte et risquent de tout embrouiller. Ainsi, dès le début, Philippe, installé « sur un rocher en face de l’océan salé, « découvre « au bout d’une heure » les deux axiomes du culte du moi.


PREMIER PRINCIPE. — Nous ne sommes jamais si heureux que dans l’exaltation.

DEUXIEME PRINCIPE. — Ce qui augmente beaucoup le plaisir de l’exaltation, c’est de l’analyser.

CONSEQUENCE. — Il faut sentir le plus possible en analysant le plus possible.


Ce besoin d’exaltation, cette rage d’analyse, Philippe peut-il savoir, avant même de s’être mis en retraite, si, oui ou non, il ne les tiendrait pas, en tout ou en partie, des barbares ? Faux départ, erreur de méthode, excès de zèle, je reconnais là, non pas Philippe lui-même, ni son camarade Simon, mais quelque autre élève de Bouteiller, un parasite, un fâcheux, que les deux amis ont laissé pénétrer dans leur ermitage et qui va suivre, d’un pas boiteux, les exercices de la retraite. Mais c’est bien, en revanche, le propre génie de M. Barrès qui a dessiné le plan du livre, fixé les trois étapes, ou, comme dirait saint Ignace, les trois semaines de cette retraite. « Les intercesseurs, » la Lorraine, Venise, vingt années d’exploitation n’ont pas encore épuisé les richesses que le jeune écrivain jalonnait dès lors, comme à vol d’oiseau, pour ses conquêtes futures. Culte des héros, discipline lorraine, pèlerinages passionnés, du Jardin de Bérénice au Voyage de Sparte, M. Barrès a-t-il fait autre chose que reprendre les trois thèmes essentiels de Un homme libre, soit pour les pousser davantage, soit pour les maîtriser et les fondre dans une harmonieuse synthèse ?