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Une bande de territoire longue et étroite, entre le Danube et le Balkan avec, au Sud du Balkan, les plateaux qui, autour de Sofia, séparent le système balkanique des massifs du Rilo et du Rhodope, donnait à la Bulgarie une configuration étrange ; au lieu d’une réalité naturelle, elle était un être factice, inachevé, que menaçaient également le péril turc et le péril russe. Le vaincu de 1878 pouvait être tenté de profiter de la faiblesse des États dont l’Europe l’avait entouré ; et quant au vainqueur, on pouvait appréhender qu’il ne prît, aux dépens des petits États slaves, la revanche des déboires que Bismarck et Disraeli lui avaient préparés. Les Russes occupaient les routes et les places fortes ; un général russe était chargé d’organiser la Principauté et de la gouverner. Cette occupation russe était indispensable pour l’affermissement du nouvel État, mais elle était lourde, coûteuse et parfois maladroite dans ses procédés ; la Bulgarie n’en apercevait pas le terme, et elle pouvait se demander si elle n’échapperait au cimeterre turc que pour tomber sous la férule moscovite.

Voilà la situation qu’il faut se représenter, si l’on veut apprécier l’œuvre accomplie par la Bulgarie et par ses princes. Dès la première heure, les Bulgares firent preuve d’énergie et d’esprit politique, et montrèrent qu’ils entendaient vivre indépendans et devenir forts. L’Europe, en laissant leur patrie inachevée et leur race dispersée sous plusieurs dominations, leur rendait, sans l’avoir voulu, un service ; elle leur donnait un idéal : réunir dans un seul État les tronçons dispersés de la nation. Elle leur faisait du patriotisme et de la discipline une nécessité ; elle les obligeait à être forts et à s’armer sous peine de ne pas être. L’histoire de la Prusse est là pour prouver ce que peut faire un peuple brave sous l’aiguillon d’une pareille nécessité. Dès les premières heures en installant leur capitale à Sofia, les Bulgares firent un acte politique décisif ; ils affirmèrent leur volonté de rassembler tous leurs frères en une seule nation. Sofia est le centre géographique de la Grande Bulgarie de San Stefano ; mais, pour la petite principauté issue du Congrès de Berlin, la capitale naturelle eût été la vieille métropole, Tirnovo, sur les pentes septentrionales du Balkan, à l’entrée des plaines qui descendent vers le Danube. Etabli là, le gouvernement bulgare aurait regardé du côté du Danube, de la Roumanie et des pays slaves du Nord. S’installer à Sofia, c’était signifier qu’il tournerait vers la Roumélie et la Macédoine son activité, ses ambitions et, au