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avec une froideur marquée, et se déclara hors d’état de lui venir en aide. Enfin un routier, qui portait à Nuremberg des sacs de farine, consentit à charger sur sa voiture le bagage de l’abbé ; et celui-ci dut suivre la voiture à pied, trop heureux de n’avoir pas à abandonner son petit paquet de vêtemens et de livres. « Ce ne fut, du reste, ni la première, ni la dernière fois que j’eus à faire à pied une longue route… On partait quand même, se fiant à la Providence, soutenu par la foi et le devoir. J’ai entendu peu de plaintes : les malheurs subis avaient été tels que ceux qui pouvaient arriver, désormais, n’étaient plus’ pour effrayer et décourager. »

Pourtant, M. de Préneuf fut bien près de succomber au découragement lorsque, à Nuremberg, puis à Augsbourg, autorités et particuliers lui montrèrent un mauvais vouloir implacable. A peine le clergé catholique lui permettait-il de célébrer la messe. Les gens du peuple, peut-être sous l’effet de leur propre misère, ne faisaient rien pour le secourir ; les bourgmestres et commissaires de police le traitaient comme un vagabond plus ou moins suspect ; et il n’avait, pour toute ressource, que le peu que pouvaient lui offrir des compagnons d’exil. Heureusement il se rappela que son archevêque, M. de Juigné, fixé alors à Constance, l’avait invité autrefois à venir le rejoindre ; et le voici de nouveau sur les chemins, tantôt « cruellement rançonné » par de mauvais aubergistes, et tantôt comblé de prévenances par d’autres, plus charitables ! A Memmingen, par exemple, il eut la chance d’entrer dans une auberge dont l’hôtesse était née à Strasbourg, et avait des parens à Paris : la brave femme non seulement le logea et le nourrit sans vouloir être payée, mais l’engagea instamment à rester chez elle, — à quoi l’abbé aurait peut-être consenti, s’il n’avait pas découvert que « sa bonne hôtesse avait une langue pour quatre. »

A Constance, Mgr de Juigné fit admettre l’abbé à « une table commune où étaient nourris cent cinquante ecclésiastiques français. » Il le chargea de prêcher le carême de 1796 dans l’église des Pères Cordeliers, qui avait été mise à la disposition des émigrés. Et les six mois du séjour de M. de Préneuf à Constance s’écoulèrent, en somme, assez tranquillement, dans une société des plus agréables, sans autre accident fâcheux qu’un incendie qui le priva, une fois de plus, de ses sermons : car nous savons déjà que, ayant été forcé de les « brûler » avant sa fuite, il