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avait longuement travaillé à les « rétablir », aussi bien à Bruxelles qu’à Maestricht et à Prozelten ; et l’on peut se figurer l’angoisse qu’il dut ressentir à les voir, de nouveau, réduits en cendres. Encore leur perte, apparemment, lui fut-elle moins pénible que l’aurait été celle de sa garde-robe, puisqu’il nous raconte que, ayant pénétré dans sa chambre au plus fort de l’incendie, c’est le ballot de ses vêtemens qu’il réussit à sauver, dans des conditions que, du reste, il n’est pas éloigné de tenir pour surnaturelles.


Avons-nous besoin d’ajouter que, de Constance comme précédemment d’Ypres et de Bruxelles, de Maestricht et de Prozelten, l’abbé de Préneuf se vit bientôt chassé par l’approche des armées françaises ? Le 21 juillet 1796, notre vagabond se remit en marche, avec l’intention de se rendre à Hof, où on lui avait dit qu’il trouverait des leçons de français. « Le cours de mes tribulations, note-t-il tristement, allait recommencer plus que jamais. » En effet, jamais encore aucun de ses voyages n’avait été aussi accidenté que celui qu’il fit de Constance jusqu’à Hof. Non seulement, cette fois, il eut à souffrir de la rapacité impitoyable des aubergistes et des voituriers, mais peu s’en fallut qu’il ne fût exécuté comme un va-nu-pieds suspect, ayant été surpris, au coin d’un bois, par une troupe de cavalerie autrichienne. A Bayreuth, cependant, l’attendaient de nouveau quelques jours de répit. S’étant présenté, à tout hasard, chez un prêtre catholique de la ville, dont quelqu’un lui avait dit le nom, il se trouva accueilli de la manière la plus affectueuse par « un excellent vieillard qui, autrefois chapelain d’une communauté, vivait retiré dans une petite habitation, entre une vieille gouvernante et des volières remplies d’oiseaux de toute sorte. »

C’est à Bayreuth que l’abbé « eut la confirmation des succès étonnans remportés par un jeune général républicain dont on parlait déjà depuis quelque temps, ce général Bonaparte qui est aujourd’hui au comble de la gloire comme Premier Consul. » Tous les officiers émigrés que M. de Préneuf avait l’occasion de rencontrer lui avouaient l’admiration mêlée de stupeur que leur inspirait la tactique de ce nouveau venu. « Quelques-uns, qui savaient qu’il avait fait partie du corps des officiers du Roi, et qu’il appartenait à la noblesse corse, espéraient voir en lui un sauveur futur de la monarchie. Ce sentiment, qui ne reposait que