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morale sociale, l’inquiétude des problèmes de la vie intérieure, la curiosité à démêler les élémens qui conditionnent le milieu moderne ; qu’il néglige les ficelles à portée de la main et bouscule, avec une robuste ingénuité, les conventions en état de plaire ! Aussitôt on respire une autre atmosphère ; au lieu du jeu des partis pris, des combinaisons et des apparences, c’est la réalité complexe, ce sont les lignes mêmes et les couleurs de la vie ; au lieu de situations et de rôles, nous avons devant nous des êtres, choisis parmi les meilleurs, mais pareils à nous, aux prises avec des circonstances où nous pouvons nous trouver nous-mêmes engagés, se débattant parmi des difficultés qui peuvent surgir demain sur notre route, tenant un langage qui est celui du bon sens ou de l’égarement, de la raison ou de la passion, de la tendresse ou de la colère. On reconnaît l’accent de la vérité. C’est une joie sans égale. Et c’est celle que nous devons aux auteurs de Un divorce.

Leur pièce est tirée du roman publié ici même, il y a trois ans, par M. Paul Bourget. Des romans excellons sont si souvent devenus de méchantes pièces, que ce genre d’opération est justement tenu pour suspect. Mais comment oublier que nous lui devons quelques-uns des chefs-d’œuvre du théâtre contemporain : la Dame aux Camélias, le Gendre de M. Poirier, le Marquis de Villemer ? C’est donc qu’avec un roman, il est possible de faire une comédie ; seulement il y faut la manière. Cette manière consiste d’abord à refaire l’œuvre de fond en comble. On sait quelle transformation a subie l’agréable et humoristique récit de Sandeau, Sacs et Parchemins, en passant par les mains puissantes d’Emile Augier. Sous le romancier que fut d’abord Dumas fils perçait déjà le dramaturge. Et il est vrai que George Sand était totalement dénuée des dons qui font l’auteur dramatique ; mais un autre, qui n’a pas dit son nom, les avait pour elle. Un roman qui arrive à la scène sans avoir beaucoup changé en route, a toutes les chances d’y échouer : l’erreur consiste à croire qu’il suffise d’y découper des scènes, d’en détacher des épisodes et des phrases, en respectant avec scrupule le texte qui a plu au lecteur. Au contraire, il faut, là comme partout, que l’écrivain de théâtre domine sa matière, et, s’il est son propre adaptateur, qu’il accomplisse le tour de force de briser les cadres où sa pensés, une première fois, a pris forme. Il faut qu’il se borne à dégager du roman l’élément de drame qui pouvait y être contenu ; une fois isolé du reste, ce principe, en se développant, créera une œuvre nouvelle. Encore cela n’est-il possible qu’avec une certaine famille de romans. Mais on sait que M. Paul