Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore vigoureux, ne put parvenir au gouvernement qu’à force de pénétrer la société. Le positivisme, au contraire, directement relatif à la sociabilité, et survenu dans une profonde anarchie, ne prévaudra dans la société qu’après s’être emparé du gouvernement, tant temporel que spirituel, qu’il faut vraiment regarder aujourd’hui comme vacant. Ainsi, tout en continuant de nous adresser aux sujets pour achever de caractériser notre destination, nous devons, en particulier et même en public, avoir surtout en vue les chefs naturels, théoriques ou pratiques, de la régénération occidentale, et provoquer par toutes les voies honorables leur avènement politique, comme seul capable de concilier enfin l’ordre et le progrès.


Ainsi le positivisme s’imposera par d’autres voies que le catholicisme. Celui-ci a dû d’abord « pénétrer la société. » L’autre s’adressera directement aux « chefs. » Le catholicisme a procédé, pour ainsi dire, de bas en haut ; le positivisme agira par le haut. Comte, avec ce singulier mélange d’esprit scientifique et de chimère dont il était formé, pensa un instant mettre au service de son idée la dictature qui, en décembre 1851, se substitua au gouvernement républicain. Blignières lui écrit, dans les derniers jours du mois, que la nouvelle du coup d’Etat est arrivée à Douai, que les officiers de son régiment s’étaient attendus à être dirigés sur Paris, et que six d’entre eux avaient déclaré que, dans ce cas, ils n’obéiraient pas à l’ordre qui leur serait donné. Il ajoute que, dans l’incertitude des événemens qui se préparent, et en raison du trouble qui règne dans les esprits, le positivisme doit s’organiser en parti politique et se livrer plus que jamais à une propagande active. « S’il y avait, dit-il, seulement six ou dix apôtres du positivisme, vraiment préparés et dévoués, ayant plus ou moins de talent, mais surtout la foi et la grâce, dans un mois, j’en suis persuadé, il y aurait trente positivistes de plus. » Mais les visées de Comte vont plus loin et plus haut ; il répond (le 4 Moïse 64 ; 4 janvier 1852) :


La république française vient de passer de la phase parlementaire à la phase dictatoriale : voilà tout ce qu’il faut voir dans l’ensemble de la présente crise, en oubliant d’ailleurs les détails que dédaignera la postérité. Or, quoique ce changement ait été brusque, il se trouvait profondément motivé, comme correspondant à la vraie différence essentielle entre la première partie de la révolution et la seconde. La routine métaphysique conduisait à voir la république comme le triomphe du pouvoir parlementaire. Mais vous savez bien que j’e l’ai toujours représentée, au contraire, comme devant amener la prépondérance du pouvoir central, seule conforme au passé français, et seule adaptée surtout à la destination organique de la