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seconde révolution. Notre situation irrévocablement républicaine compromet l’ordre autant qu’elle garantit le progrès, en sorte qu’elle appelle doublement la dictature, qui seule peut y remplacer la royauté, suivant la sentence très remarquable attribuée au dictateur actuel : on ne détruit que ce qu’on remplace ; maxime que le positivisme adopte pleinement et applique souvent. Si la présente dictature avorte par rétrogradation, il en surgira quelque autre ; mais le règne des assemblées est irrévocablement fini, sauf de courts intermèdes possibles, qui feraient mieux ressortir les besoins dictatoriaux…

Quant au choix du dictateur, vous savez qu’on n’en fait point à volonté ; et je regretterais, comme philosophe, de voir perdue, pour le paisible essor de la régénération, la précieuse force publique résultée d’un concours inouï de volontés sur le même personnage, le seul peut-être qui le comportât aujourd’hui. A moins d’un aveuglement que rien ne m’autorise à lui supposer encore, il comprendra bientôt, s’il ne l’a déjà fait, que la république est au moins aussi nécessaire à la dictature que celle-ci à la république : car aucun monarque, impérial ou royal, n’aurait certainement pu se débarrasser ainsi d’une assemblée méprisable et d’une constitution anarchique, que le prolétariat parisien, dans son admirable instinct politique, a refusé de soutenir, et qu’il aurait probablement appuyées sous une monarchie quelconque…

Dans tous les cas, le prestige métaphysique est à peu près détruit ; le fétichisme de la loi se trouve essentiellement dissipé ; on ne peut plus nous endormir sous la fantasmagorie constitutionnelle qui durait depuis trente-six ans, quoique antipathique au génie français…

Quand il faut ainsi régulariser le présent, chacun sent la nécessité de connaître le passé et de comprendre l’avenir. Alors il n’y a pas de millions de voix empiriques qui puissent empêcher de voir qu’une telle besogne convient seulement à un philosophe ; ce que personne, au contraire, ne sait apercevoir clairement envers une cohue constituante, dont l’incompétence paraît plus équivoque. Or, ici, l’opération systématique se trouve d’avance accomplie, depuis trois ou quatre ans, par un philosophe évidemment compétent et d’ailleurs pleinement désintéressé dans un plan de gouvernement d’où il s’est dogmatiquement exclu. Vous voyez ainsi comment la phase actuelle nous achemine spécialement au régime positiviste, outre la tendance générale qu’elle présente en ce sens d’après son caractère antimétaphysique.

J’espère donc que ces indications sommaires vont bientôt vous réconcilier suffisamment avec une telle situation, sans vous faire pourtant oublier les fautes et les atrocités qui l’ont inaugurée. Nous y pourrons davantage développer à la fois nos trois caractères connexes d’école, de parti et de secte, dont chacun pourrait surgir seul si la situation l’exigeait, mais qu’il importe beaucoup de combiner de plus en plus. Il n’y a de radicalement déplorable aujourd’hui qu’un excès de compression, qui toutefois me semble devoir bientôt cesser, pour laisser prévaloir, suivant nos mœurs et nos besoins, une raisonnable liberté d’exposition, je ne dis pas de discussion. Nous aurons à cet égard une prochaine épreuve, quand il s’agira de reprendre mon cours hebdomadaire, toujours annoncé, suivant ma coutume,