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« scandaleusement insuffisante. » Ensuite il a fait preuve d’une « monstrueuse ingratitude » en dissimulant à ses lecteurs que Comte avait déjà publié des ouvrages didactiques, où sa doctrine était mise à la portée de tout le monde. Enfin, ce qui lui manquera toujours, c’est la vie du cœur, la sympathie.


On ne peut convenablement, écrire ou parler sur l’ensemble du positivisme sans avoir suffisamment subi l’influence féminine, à laquelle vous resterez toujours étranger. Faute d’une telle préparation continue, vous ne serez jamais pourvu de véritables convictions quelconques ; et. malgré votre langage public, votre secrète appréciation qualifiera de chimère sentimentale le principe fondamental où le positivisme érige la sympathie on unique source de la vraie synthèse. Une insurmontable infirmité cérébrale vous a fatalement relégué parmi ces prétendus positivistes qui, se qualifiant d’intellectuels, sont les moins intelligens de tous, d’après l’insuffisant essor des seuls sentimens propres à susciter, féconder et soutenir les vastes méditations…


Comte termine sa lettre en englobant dans une réprobation commune tous les dissidens de l’école, sans en excepter le plus il lustre de tous, Littré :


J’ai surtout accompli cette corvée inouïe parce que je regarde votre livre comme devant bientôt devenir, s’il ne l’est déjà, celui de l’incohérente coterie graduellement formée du concours spontané de tous les faux positivistes, nominalement groupés autour du rhéteur usé que le positivisme a passagèrement décoré d’une auréole de penseur[1]. Elle a pour programme secret, étourdiment divulgué dès 1854 par un complice bavard : Il faut développer (c’est-à-dire exploiter) le positivisme en dehors de (c’est-à-dire contre) son fondateur. Votre prétendue théorie du pouvoir spirituel lui convient parfaitement, en cachant au public que ce pouvoir existe depuis la terminaison de ma construction religieuse ; vous le représentez comme étant encore à fonder, et vous osez même insinuer qu’il doit finalement résider dans un comité, sans se condenser chez un pontife…

Tout cela vient trop tard : j’ai publiquement saisi le pontilicat qui m’était normalement échu ; loin d’exciter la moindre réclamation, cet avènement fit surgir, chez plusieurs de mes correspondais occidentaux, cette suscription extérieure : Au vénéré Grand Prêtre de l’Humanité : manifestation surtout décisive sous les armoiries papales, dans les lettres mensuelles que m’adresse de Rome votre ancien camarade de Polytechnique Alfred Sabatier, que vous n’oseriez aucunement, taxer de servilité, quoique vous ne puissiez pas sentir

  1. Comte disait de Littré, avec plus de modération, en 1852, au moment de la rupture : « Il est désormais classé définitivement pour moi comme un très honnête homme et un éminent écrivain, qui continuera d’être fort utile à notre propagande, sans pouvoir jamais figurer parmi les hommes d’État positivistes. (Lettre du 4 Moïse 64 ; 4 janvier 1852.)